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Voyage en Asie de Frederic et Pascal GRACIA

5 août 2013

Frederic Pascal Inde, Népal, Tibet, Chine,

 

 

Frederic Pascal

Inde, Népal, Tibet, Chine, Thaïlande

1986

 

 

DELHI

 

Les voilà bien plongés dans le bain du grand voyage, les deux frangins du Plessis-Robinson.

Le grand bain de l'Orient. 

On aurait pu comme la plupart des touristes occidentaux, amorcer tranquillement ce voyage en allant loger dans un de ces hôtels aérés autour de Caunough Place à New Delhi, on aurait simplement suivi les conseils du guide du routard. Qu'est-ce qui nous a pris de demander Old Delhi Railway Station au taxi de l'aéroport? L'esprit d'aventure fait parfois du zèle.

 

N'empèche, il y a encore 3 semaines je jouais le broussard explorateur en pleine savane africaine au Niokolo Koba, sénégal, fort d'avoir déjà posé mon sac à Istanbul, Jérusalem, Marrakech, Dakar... rien n'y fait: ces premières minutes dans le ventre de Old Delhi font partie des plus étranges, des plus incroyables qu'on aura la chance de vivre sur la route.

 

On réalise aussi d'un coup une notion désagréable qui colle à la peau les premiers jours, celle que connait n'importe quel touriste arrivant en orient: les deux jeunes européens que nous sommes (21 et 26 ans) si fraîchement débarqués de ce vol Thai Airways Amsterdam/Delhi, détiennent, plutôt sauvegardent au fond des poches de l'argent (dollars, travellers chèques, gros paquets de roupies, pas de carte banquaire à l'époque), des billets trop visibles, perceptibles, limite palpables, une fortune pour ces gens que nous croisons. Prêts aussi à s'envoler nos billets d'avion, pourtant bien rangés - on verifie souvent pour être sûr - passeports et autres carnets internationnaux de vaccination. Mais nous verrons par la suite qu'ormis les singes, les indiens sont plutôt curieux, pas vraiment voleurs.  

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A vrai dire nous nous sentons observés, naïfs, un peu embarrassés. Ici à Old Delhi la misère nous tire par la manche à chaque coin de rue.

C'est du moins la singulière ambiance ressentie en ce début de voyage.

 

Me reviennent en mémoire les premiers mots du Pélerinage aux sources de Lanza del vasto poête voyageur débarquant en 1936 à Ceylan: "Le voici celui qui vient de débarquer : tout seul, tout blanc, tout honteux, tout désemparé, harcelé par ceux qui vendent, par ceux qui promettent, par ceux qui implorent..."

Au fait: de 1936 à 1986 cela fait juste 50 ans... rien n'a changé !

Le cas n'est pas rare ici dit-on, que des touristes occidentaux peu avertis, fragiles, reviennent en courant à l'aéroport quelques heures seulement après avoir débarqués, suppliant un prochain vol retour au comptoir de l'agence. Je les imagine dans l'avion soulagés, réconfortés, ragaillardis tentant de faire le résumé de cet hallucinant voyage-éclaire...

 

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Impressionnant baptême donc que celui de l'Asie ; on suffoque comme des nouveaux nés. Il va falloir réapprendre, pas à pas, la vraie valeur des choses, celles dont on a oublié l'essentiel. Réapprendre à sentir, à marcher, à parler ; faire face aux surprises et aux épreuves du destin qui mijote. Par ici, les Oscars de la Mode, les chanteurs pour l'Ethiopie ou la superbe remontée du Paris S-G ne veulent plus rien dire. De même, nos petites valeurs morales de l'hygiène ou du ''savoir-vivre'' font bien piètres figures. Nous sommes au milieu d'un sous continent, j'avais d'ailleurs ressenti ce même vertige face à l'immensité de l'Afrique; ce tourbillon du dépaysement nous marquera plus comme un tatouage plutot qu'un souvenir de vacances. Mais on est là pour ça, pour ces impressions fortes, spectateurs et acteurs d'un grand film à suspens.

 

 Au milieu de ce délire, on a quand même trouvé un point de repère : notre chambre d'hôtel – quatre vingt dix roupies (10€.). On s'apercevra vite qu'il y avait tellement moins cher. Dailleurs économiser sur le prix d'un hôtel deviendra presque un impératif. Qui veut aller loin ménage sa monture... Nous sommes partis pour un long voyage; ne pas payer pour dormir nous apparaitra peu à peu une évidence pour l'épargne de notre budjet.

 

En tous cas, dans cette chambre les murs sont blancs, à peu près nets et le gargouillement de bruits et d'odeurs de la rue ne nous parvient qu'aseptisé. De fait ce petit refuge paisiblement brassé d'air par le ventilo du plafond nous rassure. On fait le point le soir, on se prépare psychologiquement avant de risquer son nez dehors le matin.

 

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Un plan du labyrinthe, la boussole, l'appareil photo au fond d'un sac, toujours aussi repérables, on traverse de long en large le grouillement de Chandny Chowk, ce boulevard de Old Delhi, noir de monde, les Champs Elysées revus et corrigés à la sauce indienne.

 

Ce qui choque également dans la mise en scène de ce grand spectacle, c'est que cette immense pagaille sans structure qui se délabre en se rafistolant elle-même depuis des siècles conserve sans la moindre gêne ses bouts de ficelle et ses planches, face aux avenues spacieuses et on ne peut plus britanniques de New Delhi, la ville impériale.

 

Des drôles de petites scenettes à droite, à gauche, un son, un parfum, une musique intrigante, nous attire au fond d'une ruelle sombre; un temple improbable certainement mystérieux; les yeux ronds on se laisse mené au hasard; d'heure en heure on s'imprègne de l'Insolite condition, amusante, rarement inquiétante, souvent déconcertanteL'insolite, paradoxalement une chose courante ici; dans toute l'Inde d'ailleurs. Il suffit juste d'ouvrir bien grand les yeux. Plus que conseillé d'ailleurs: le danger, sournois, guette fatalement le promeneur distrait. Un angle de vision à 180° et le but du gymkhana (jeu d'origine indienne) est d'aiguiser ses réflexes en évitant au bon moment barres de ferraille, trous béants, rickshaw et coup de corne (même sacrées les vaches sont parfois nerveuses et imprévisibles), lever les yeux aussi: le risque n'est pas nul de recevoir sur la tête du bétel (feuilles qu'on mâche et qui font cracher rouge) voire, on peut tout imaginer, un raclement de gorge venant de nulle part. 

 

Au beau milieu de ce qu'on pourrait appeler un carrefour, une vache (sacrée naturellement), vautrée sur un tas d'ordures, machouille un bout de carton; ses beaux yeux mi-clos, elle semble méditer sur l'étrange manège qui tourne autour d'elle :

rickshaws, chiens errants et vendeurs de lait, singes chapardeurs, cordonniers, dormeurs et mendiants tous participent à cette ronde nonchalante qui prend vie dès le levé du jour dans cette douce poussière à peine retombée; étourdissement de klaxons, de moteurs pétaradants, de musiques bollywood forcément saturées de chanteuses nasillardes (une mode musicale qui perdure bizarrement depuis 1/2 siecle). Les sens sont en éveil. Comment arrive-t-on chaque jour à mixer si finement cette même odeur âpre de fumée, d'épices, de pisse et d'encens?

 

 


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La splendeur de l'Inde, l'Inde du Mahabarata c'est sûr, a dû se transformer quelquepart et il n'y a peut-être pas si longtemps...

Même les mosquées aux colonnes torsadées, les temples de marbre aux incrutations d'un autre temps y ont eu droit, enlaidis eux aussi de ventilateurs et de néons blafards.

Mais ici, les fontaines d'ablutions coulent depuis toujours. Et ce n'est pas près de changer.

Il est toujours aussi surprenant ce contraste des oppositions. Magique, mystérieuse la limite de deux atmosphères : celle de l'éparpillement et du bruit de la rue, celle du vide et du recueillement silencieux dans le lieu de culte.

 

Selon l'envie, la fatigue de la marche ou la simple curiosité, on se déchausse et on entre se reposer la tête, retrouver l'esprit dans l'un de ces royaumes mystiques dont la diversité se compte par millier. Tant qu'on y est on tente d'en savoir davantage sur cette fameuse trinité hindoue. Un univers complexe de divinités qui dansent derrière les brumes d'encens : Vishnu le conservateur et ses incarnations comme Krishna, Rama et même Bouddha ; Brahma le créateur qu'on ne vénère pas et Shiva Prince des yoguis et destructeur qui revêt une expression maternelle ou diabolique suivant sa forme.

On passe de la belle Parvati à Ganesh, le dieu éléphant et bon enfant ; Hanuman le singe musclé et éternel serviteur et on perd la tête devant les hallucinantes Kali et Durga parce qu'on voit tout ça de très loin. Quel panthéon que celui des hindoux... 

 

Les douceurs de la France qui résonnent dans l'estomac quand midi fait fumer les plats, il ne faut pas les entendre et ne pas y penser. En plein Old Delhi, les restaurants sont noirs de crasse, les fours à l'entrée enfument et la musique nous énerverait presque.

 

 

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Ces premiers repas indiens, on apprend avec douleur à s'en contenter. De toute façon, on n'a pas le choix. Le ''Dal'' on finira tôt ou tard par l'apprécier. Légumes bouillis, différentes sauces compartimentées, ça présente bien, une bonne plâtrée de riz qu'on doit malaxer et manger avec les doigts; souvent un oignon pour soulager le palais. Chaque fois nous en laissons la moitié dans l'assiette, ça pique décidément trop fort et on ressort du restau les yeux rouges et la bouche en feu. On se console en se persuadant que les épices sont des antiseptiques naturelles; en tout cas aucun problème gastrique pour le moment . 

 

La pluie et le gris du ciel ont transformé le décor. Tout paraît luisant de graisse noire et glauque, comme du pétrole. Un fantastique atelier de vidange-graissage, en plein air.

 

On sera resté en tout, quatre jours. Delhi et sa faune, on aura l'occasion plus tard, d'y replonger. En attendant, l'Inde est devant nous et on s'attend à tout vu l'hallucinante capitale officielle !....

 

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HARDWAR

Première destination : le Nord. A deux cents kilomètres de Delhi, une ville Sainte sur le Gange, tout près des premiers contreforts himalayens, Hardwar, ''la Porte des Dieux'', une ville Sainte où aura lieu, dans quelques semaines et pendant deux mois, la plus grande fête religieuse de l'Inde : la Grande Kumba Mela.

 

Sept millions de pèlerins sont attendus pour le 14 Avril, LE jour sacré de ce festival. Cette nuit-là, Jupiter entrera dans la constellation du Verseau et des millions d' hindous iront se baigner dans le Gange. La Kumba Mela a lieu à Hardwar tous les douze ans ; depuis un millier d'années, le peuple de l'Inde attend, à intervalle régulier, de venir s'abreuver de ''l'élixir d'immortalité'' ; ici, dit le mythe une goutte ''d'Amrite'', le breuvage qui rend immortel et que se disputaient les dieux et les démons, est tombée ici, à Hardwar.

 

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La Kumba Mela laisse derrière elle un passé à chaque fois plus ou moins tragique : incendies, noyades, panique, batailles rangées, des milliers de morts en 1950, à cause d'un pont qui s'écroule sous le poids de la foule, etc …

 

Pour cette année, on prévoit large ! On l'attend de pied ferme, cette Mela de 1986. Pourtant, on la craint, on le sait, irrémédiablement, elle prendra des vies parmi les saddhus, les ascètes en tout genre, les fanatiques, les malades, les mendiants, les fakirs et le gros de la foule qui se trempera dans le fleuve sacré en même temps, le 14 Avril.

On construit des habitations, des sanitaires, on nettoie, on répare, on repeint jusqu'à Rishikesh, à 30 kilomètres de là.

 

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La petite ville s'étend en longueur sur une berge du Gange. Des temples partout, des autels, des ashrams où des brahmanes vivent comme des moines. On entre, après s'être déchaussé, à l'intérieur d'un patio découvert.

Sous les arcades, des brahmanes, assis parterre, mangent le prashad, la nourriture sacrifiée, naturellement végétarienne et qui, selon eux, n'est pas différente de celle de Vishnou lui-même.

Le dernier brahmane a terminé son repas. On nous fait signe qu'on peut s'asseoir, on va nous servir. Nourriture simple, douce, repas copieux, entrecoupé par des '' no problem ?,  all right  ?''  Des brahmanes très attentionnés au service des '' hors castes '' que nous sommes !

 

Au sortir de la ruelle tortueuse et grouillante du bazar, on passe les dernières échoppes brillantes de pacotilles et on débouche sur une allée de mendiants misérables. On arrive aux ghats sacrés, les escaliers qui descendent au bassin d'Arki Puri. On s'assoit, on s'imprègne de l'atmosphère religieuse. ''L'Arti'' le rituel du soir va bientôt commencer. Les gaths se remplissent de monde peu à peu. Le Gange coule en contre-bas avec toute la force de sa jeunesse ; les ponts sont équipés de chaînes qui pendent jusqu'à l'eau, pour permettre à celui pris par le courant de s'y raccrocher, à moins qu'il ne choisisse l'ablution définitive: la noyade sacrificielle, l'honneur de mourir durant la Kumba Mela !

 

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Le Mahabarata dit que Shiva, le Prince des yoguis, a médité pendant deux mille ans dans l'Himalaya par pénitence, pour implorer l'eau du ciel sur la terre asséchée.

Pour atténuer la puissance des flots célestes tombant sur la terre, Shiva reçu le Gange par sa longue chevelure.

 

La première étoile commence à briller. Dans tous les temples de l'Inde, devant tous les autels de Shiva, de Vishnou, de Krishna, sur tous les gaths du Gange, c'est l'Arti. On agite une clochette, on fait brûler l'encens, une queue de yack ondoie dans l'air. Les mantras sortent des haut-parleurs, saturés, la nuit tombe et les conques retentissent comme les chauffards (cornes de bélier dans la tradition judaïque) de Jérusalem.

 

 Assis sur les gaths, on regarde les gens mettre à l'eau leur message lumineux, des petites barquettes de fleurs auréolées par la flamme d'une bougie, qui descendent le courant du Gange. On écoute, on pense des voeux ou des prières vers l'au-delà.

 

 La température nous surprend. On réalise que les plus hautes montagnes du monde ne sont pas loin. Un peu partout, à Hardwar, des agences pour pèlerins affichent des itinéraires détaillés pour Gangotri, les sources du Gange, voyage en bus ; ça nous fait envie, mais on nous apprend qu'il est trop tôt, ce n'est pas la bonne période, trop de neige, les routes sont encore coupées.

 

 Cela nous décide, quant à notre itinéraire jusqu'ici indécis. Hardwar, on y reviendra dans deux mois, pour le grand jour de la Kumba-Mela, le 14 Avril. On part donc vers le sud.

 

 Au programme : Agra, le Rajastan, Bombay et les plages de Goa ; la suite, on y pensera plus tard. Mais avant, un petit tour à Rishikesh, une autre ville sainte sur le Gange, à 30 Km d'ici. 

 

 Il a la royauté d'un aigle, ce vieux perché sur son mur de pierre. La sagesse parle en lui et sa barbe blanche est témoin de son âge. Ici, il en arrive des centaines, des patriarches du renoncement. Ils n'ont rien. Rien d'autre qu'un bâton de pèlerin et une couverture. Ils vont tête haute, dignes comme des rois, beaux comme des dieux, libres, détachés de tout plaisir, de tout confort.

 

 Nous, penchés en avant par le poids de nos sacs, eux, détachés de tout bien matériel, droits et la démarche noble; on se croise, se salue, chacun de son côté.

 

 

*

 

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On l'a rencontré dans la rue du bazar le ''Brahmane sans problème''. Il nous demande du lait, du sucre, du thé, du riz, on lui achète tout ça. Il nous remercie simplement. Il trouve ça naturel et finalement nous aussi. En Inde, on apprend aussi à donner. Ici, rien n'est plus normal et logique que de demander à celui qui a. La mendicité n'est pas une honte ou une gêne pour celui qui la pratique ici. En Orient, c'est un métier comme un autre, particulièrement installé dans les villes saintes et les quelques endroits touristiques de l'Inde.

 

 

*

 

Près du Gange, un prêtre à longue barbe blanche, officie dans un autel. Une file indienne se presse devant lui pour recevoir des mains du sage le ''kumkum'', le point de santal sur le front et du Prashad dans les deux mains.  

On est introduit devant lui. On reçoit sans sourciller, le troisième oeil, quelques gouttes d'eau du Gange sur le front et dans les mains une pâtisserie qu'il a sorti d'on ne sait où, Prashad des grands jours pour les ''gens de marque'', nous sommes flatés.

  

RISHIKESH

 

On comprend tout de suite, quand on passe Hardwar et qu'on arrive à Rishikesh, que la ''Porte des Dieux'' est bien franchie. Il y a dans l'air cette sorte de sérénité mystique qui sied à toutes les villes religieuses de l'Inde (et d'ailleurs), mais ici, en cet endroit précis, le Gange sort de l'Himalaya.

 

Ceux que l'on croise ici ne sont pas là par hasard. Beaucoup d'entre eux portent la robe rouge. On attend de partir ou on en revient. Certains y montent pour ne plus jamais redescendre: ici commence le Grand Pèlerinage,  le pèlerinage aux sources du Gange.

Gangotri et gomuck , la principale source, au pieds de la Nanda Devi se trouvent à environ 10 jours de marche. 

On les voit partout aller et venir ces religieux errants, leur couverture sur l'épaule, le pot à eau et le bâton pour seuls bagages. Ils vont aux ablutions ou reviennent des offrandes.

 

 

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A Rishikesh on se salue avec la syllabe ''Aum'', le mot sacré à l'intérieur duquel, selon les hindous, tous les sons de l'univers seraient contenus. Le son purificateur, spirituel par excellence, qui résonne dans toute l'Inde et par de là l'Himalaya.

 

 

*

 

Pour une pièce et rendre service, on nous accompagne dès la sortie du car, au Neelam-Hôtel, restaurant végétarien, comme ils le sont tous, sur les rives du Gange.

Je dois remettre une lettre au patron du restau, un sick enturbanné, barbu et souriant. 

L'enveloppe vient de loin: je la ramène du Sénégal. Une mission que m'a confiée il y a quelques semaines depuis Dakar, Sergio, un GO italien du Club Med des Almadies. Lettre écrite, cachetée illico dès qu'il a su que je partais en Inde.

Je pense encore à cette soirée qui s'était prolongée tard dans la nuit: nous étions un petit groupe qui l'écoutions, moi peut être plus receptif encore, on riait, on rêvait, Sergio, intarissable, avec un réel talent de comteur, transmettait son expérience indienne; ce soir-là, depuis Dakar on y était tous en Inde, téléportés dans cette vallée aux fleurs, hapés vers les sources du Gange... Le pouvoir du verbe.

C'est donc avec grand plaisir que je viens livrer en mains propres les nouvelles fraîches d'une vieille connaissance au patron; cet italien a laissé de bons souvenirs ici aussi.

Le patron, content, nous offre le repas ; indian meal mais ''spécial touriste'', moins épicé on se régale, sur une musique qui sonne bien ici à Rishikesh, un genre  "électro-psyché-mystico-planant'' pour donner un nom. Les Beatles ont séjourné dans cette ville pendant leur période indienne, de fait à Rishikesh on ne sera pas les seuls touristes.

 

Nous logeons dans un petit ashram tenu et entretenu par deux vieux saddhus à barbe blanche. Un endroit agréable, reposant, bon marché.  

 Dans la cour, des occidentaux. Deux couples très sérieux, assis en tailleur, avec un air ''d'avoir compris beaucoup de choses'' rendent hommage au Dieu Shiva, en fumant du sharras au shilum.

Il y a aussi deux vieux saddhus, plus simples et avenants, qui nous montrent, l'ancestrale technique pour tenir et fumer ce shilum. En Inde, c'est une véritable invocation, un rituel sacré pour les inconditionnels de Shiva.

 

*

 

On a fait la connaissance d'un de ces anachorètes sédentaires de Rishikesh. Un baba plus ou moins en quête de disciples, au regard de saddhu mais qui aime certainement s'écouter parler. Bien sûr, il philosophe sur ici et maintenant et naturellement, il nous prédit l'avenir, évoque la meditation transcendantale (Rishikesh est la capitale mondiale du yoga), insiste sur les énergies cosmiques et vibratoires. De longues phrases un peu formatées qu'il débite très rapidement dans un anglais monocorde et un ton de '' par coeur '' qui laisse un petit manque de vie.

 

Enfin, on fume le shilum c'est la règle et après plusieurs heures dans un petit restaurant à boire du thé, on se sépare, la tête un peu engourdie par tout ça.

 

Ce soir, on se sent bien en Inde, comme on imagine depuis la France. L'Inde mystique, spirituelle, l'Inde du Gange et des saddhus.

 

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*

 

 

Retour à DELHI. Il est 3 heures du matin quand on arrive. Le car depuis Rishikesh nous a balloté dans un sommeil fatigant et nous n'avons qu'une envie : trouver un hôtel pour dormir.

 

En rickshaw, on tourne dans la ville pendant une heure. Les hôtels sont tous complets. La pluie se met à tomber. On regarde notre pauvre riskshaw qui s'épuise devant nous. Dans les rues trop raides, la chaîne du vélo dérape de plusieurs dents. Il faut descendre et pousser. On pense au destin de ce pauvre type qui pédale toute sa vie et qui trouve ça parfaitement normal.

 

 

*

 

Dans le train qui nous mène à AGRA, on a rencontré un français, assis en lotus, habillé en indien, chevelu et barbu comme un saddhu, mais la tenue moins noble et le regard plus endormi. Un de ces derniers ''hippies'' qui n'étonnent plus personne par ici. Depuis les années 70, ils ont dû en voir défiler entre Katmandu et Goa.

A l 'époque, ces routards hippies faisaient partie du folklore de l'Inde; on allait jusqu'à les prendre en photo, clichés classiques des tours operator.  Ces ''freaks'', ces clochards célestes de l'Orient, qui dix ans plus tôt, à Istambul, me faisaient presque craquer de les voir continuer en stop vers Ankara, Téhéran, Kaboul... selon l'itinéraire habituel de ''la route des Indes'' ; 

Certains ont continué de voyager dans le sous-continent, ne pouvant revenir par la route (les frontières afghanes ou iraniennes pratiquement fermées depuis la révolution islamique de 1979).

Après toutes ces années, l'Inde a finit par les envouter, transformer peu à peu, c'était inévitable, leur caractère physiologique et bien sûr leur personnalité. En tout cas, ces ''va-nu-pieds'', comme on dit en France, se fondent dans la foule et les indiens ont des rapports avec eux sans aucun doute, moins intéressés et de fait plus sincères qu'avec la plupart des touristes qui débarquent en short, en pataugas, le télé-objectif dégainé sans pudeur. Aussi, ils sont souvent une source de renseignements intarissables.  

 

 

 

AGRA

 

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Agra est LA ville touristique l'Inde. Et pour cause : c'est ici, depuis plus de trois siècles que trône l'une des sept merveilles du monde : le Taj Mahal. Un mausolée pareil à un mirage. Un joyau qui surgit des mille et une nuits.

 

Depuis le toit en terrasse de l'hôtel, sous les étoiles au clair de lune et dans la douceur du matin, on l'admire ; on ne s'en lasse pas !

 

Les premiers rayons de l'aube, les heures chaudes du jour, le ciel du couchant, autant de variations de couleurs. Et sur la blancheur du dôme de marbre, le perpétuel et subtil mariage de l'ombre et de la lumière.

 

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De loin comme de près, aucun effet de gigantisme ou d'écrasement. Tout est finesse et majesté.

 

 

A l'intérieur, sous la coupole, fraîcheur et silence rendent grâce et sérénité à la mort qui règne ici puisqu'il s'agit d'un tombeau. Une balustrade en marbre incrustée de pierres fines protège deux tombes vides, parfaites répliques de celles se trouvant dans la crypte, là où reposent les corps du Roi et de la Reine Mumtaz Mahal, au coeur de ce palais, pour l'éternité.

 

 

 

FATHEPUR SIKRI

 

 

 

Une quarantaine de kilomètres en car depuis Agra, et on se trouve dans une rue grouillante d'enfants, d'animaux, de commerçants, avec l'atmosphère que l'on commence à connaître et à aimer. Un petit village très indien, perdu au milieu d'une immense plaine de pierres et de terre rouges, écrasé par la chaleur et la poussière : Fathepur Sikri.

 

Une foule de touristes y débarque chaque jour pour la visite de la mosquée et du Palais d'Akbar.

Un peu d'histoire : Le roi Akbar décide un jour d'installer sa cour à Sikri pour se rapprocher d'un prophète soufi, à qui il vouait une profonde reconnaissance.

En 1574 , les travaux sont terminés, mais Akbar n'y habitera que 14 ans, la région étant plutôt difficile à alimenter en eau. Les édifices du palais, les cours intérieures, les bassins, les colonnes, tout est demeuré figé dans le temps, à peine émoussé par l'érosion de quatre siècles.

 

La majesté du lieu n'est dérangée que si l'on fait abstraction des commentaires touristiques et des cliquetis des mitraillages photographiques. Tout permet avec un peu d'imagination de faire revivre un fakir de Bagdad sur un tapis volant ou de découvrir dans le recoin d'un porche oublié, une petite lampe à huile qui brille merveilleuse.

 

*

 

Notre voyage étant dès le départ scrupuleusement ''désorganisé'', nous n'hésitons pas à remplacer, quand bon nous semble, à prolonger spontanément, à annuler ce que nous avions prévu dans la journée : en forçant légèrement le cours du destin, on louperait bien ce soir le dernier bus pour Jaipur...

 

Vraiment ce palais d'Akbar à Fathépur nous inspire. A force d'imaginer le lieu sans les touristes, nous décidons une petite folie: revenir discrètement cette nuit à l'intérieur de l'enceinte. On sait par où passer.

En voilà une bonne idée ; à nous la Cité Royale ! La lune sera, je crois, au rendez-vous. Un endroit de rêve pour une nuit insolite.

 

*

 

 

Comme souvent, à proximité des endroits les plus célèbres, il suffit de s'éloigner quelque peu des passages fréquentés, des restaurants et des échoppes de souvenirs, pour s'apercevoir que les habitants sont plus qu'étonnés à la vue du premier blanc qui vient par curiosité voir à quoi ressemblent les alentours du Taj Mahal.

 

A croire que le tourisme en Inde, même à Agra, n'en est qu'à ses premiers balbutiements.

 

*

 

On attend la nuit en se baladant dans le village. On achète quelques fruits,

des pâtisseries indiennes, la gourde est remplie de lait chaud, de quoi se restaurer

royalement là-haut dans notre palais.

 

Des enfants s'arrêtent soudain de jouer pour nous suivre en criant. A l'ombre

des palmes, femmes et hommes travaillent sur des métiers à tisser d'où sortiront

des tapis Rajputs qu'ils iront vendre à Jaipur ou Agra.

 

Les ruelles deviennent chemins, les maisons basses s'ouvrent sur une cour

aux murs décorés de dessins, de prières aux couleurs vives. Sur notre passage,

on s'arrête, ou l'on rentre chez soi pour prévenir les autres.

A l'évidence aucun touriste n'est passé par ici depuis longtemps.

 

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 On nous invite à entrer dans une cour. On nous fait assoir en face du Chef de famille. On échange quelques mots, quelques gestes, la communication paraît diffuse en ce début de voyage (on apprendra par la suite à maîtriser un peu mieux ce langage de gestes), mais en quelques minutes des gens se sont groupés autour de nous.

C'est l'événement.

On nous regardent comme des bêtes curieuses (cela aussi on en prendra l'habitude).

J'ai bien envie de prendre une photo, ce que je ne ferai pas.

Un enfant crie et pleure, impressionné. Une femme profite de son voile pour se marrer discrètement. Les commentaires fusent. On suit des yeux chacun de nos gestes ; on boit chacune de nos paroles.  

 Le thé est servi. Tout le monde rit, on est heureux. Sans trop savoir pourquoi, on laisse au moment de partir, un briquet. On aime à penser que la petite flamme sera pour un temps le souvenir de ces deux blancs qui un jour ont osé s'arrêter là. 

 

 

*

 

Lorsqu'on franchi l'enceinte du palais, le ciel est rouge feu par le crépuscule.

On se glisse silencieusement dans l'ombre de ce lieu qui a pris, avec la clarté

lunaire, un aspect lugubre, pesant, légèrement inquiétant.

 

On arrive sur une place dallée, dominée par une construction sans mur dont les

paliers sont soutenus par des colonnes.

 

Une passerelle sans rampe, on gravit un raide escalier et du haut de ces cinq

étages, sous la coupole, on recueille les derniers rayons du soleil. On s'assoit sur

nos sacs et on s'imprègne du silence et de notre singulière situation. On repense

aux constructions absurdes de Hesher, on s'imagine dans un monastère Zen du

Japon.

 

On laisse pour tout à l'heure, quand on reviendra se coucher, cette élégante

plateforme qui devait jadis, le saura-t-on vraiment ? Servir d'observatoire et

on redescend dans l'ombre envoûtante des cours closes, des porches, des terrasses

et des bassins séculaires.

 

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L'emplacement le plus original que nous ayons trouvé pour partager notre

repas avec la lune, c'est une dalle de 3 m x 3, un îlot au centre d'un bassin. On

y accède par une passerelle de pierre. Le tout au beau milieu d'une vaste place

que cloisonnent des temples, des remparts et des arcades de cloître.

 

La faim nous pousse à manger ; on s'installe , on finit par regarder le silence

et écouter les ombres nocturnes.

 

*

 

La lueur de la bougie a dû nous dénoncer. Trois gardiens arrivent à grand

pas, lampe torche à la main. Ils ne paraissent pas franchement étonnés, meme

plutôt amusés.

 

Aimablement, ils nous font comprendre qu'il n'est pas permis de ''réveillonner'' dans

cet endroit et qu'il est hors de question d'y dormir. On replie bagage (et on reprend le

chemin de la sortie). La prochaine fois on se passera de bougie.

 

*

 

Puisqu'il faut bien dormir quelque part, on nous accompagne dans Sikri,

jusqu'au Dharamsala, un relais de pèlerins qui héberge pour deux roupies la nuit

et parfois gratuitement.

 

Il va sans dire, que le cadre de la pièce que l'on nous attribue est loin de nous

rappeler les espaces royaux d'il y a dix minutes. Une horde d'enfants criards

et gesticulants, poussés par la curiosité, est entrée. Rigolades, cavalcades, la

résonnance du dharamsala transforme vite les exclamations en un brouhaha saoulant.

 

Tant bien que mal, après une ''discussion'' tumultueuse, on arrive à refermer

la porte sur ce petit monde sympathique et à s'endormir en repensant à ce Palais

de Fathepur qu'on ne reverra pas.

 

 

 

 

JAIPUR

 

On l'appelle la ''Ville Rose'' bien sûr à cause de la couleur des maisons. On sait que

Jaïpur, quel joli nom, est la capitale du Rajasthan et qu'en outre, c'est une ville comme il en existe peu

en Inde : entièrement édifiée selon les plans d'un urbaniste (vers 1730).

 

Les rues et les avenues se coupent à angle droit, des files de maisons identiques de

couleur rose. Une cité ultra moderne pour l'époque avec bien sûr, les palais princiers

en marbre blanc et en grès rose, un observatoire astronomique avec des instruments de

mesures géants qui montrent par leurs dimensions l'importance que revêt l'astrologie

en Inde.

 

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Mais dans ces avenues, le flot bouillonnant de l'Inde est le même qu'ailleurs. Les mêmes

vaches, les mêmes rickshaws, les mêmes coups de klaxon, les miaulements radiophoniques, les

odeurs, les parfums et l'eau qui croupie. Quelques chameaux, la moue dédaigneuse et l'allure

noble, se fraient un passage entre les scooteurs et chars à boeuf.

 

*

 

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A l'entrée d'un temple de Vishnu, un homme jette sur le sol un régime de superbes bananes. Comme chaque jour il vient pour nourrir une dizaine de singes. Ces macaques vivent dans le temple en maîtres, tels les animaux sacrés et choyés qu'ils sont, tels qu'Hanuman, leur représentation divine.

 

Il y a un singe qu'on remarque depuis le début. Lui, n'a que faire des bonnes grosses bananes que se

disputent les autres. Il tient entre ses mains quelque chose qui brille comme un joyau :

c'est un morceau de miroir.

 L'image-type qui étonnera toujours l'homme : celle du singe découvrant dans la glace sa propre identité. Une découverte qui va jusqu'à lui faire oublier de manger !

La manifestation directe de l'intelligence, une scène qui nous renvoie à nous-mêmes, comme la réflexion d'un miroir.

 

 

*

 

Les vaches, elles, sacrées ou pas, se débrouillent comme elles peuvent pour subsister dans les profondeurs de la ville.

Elles errent nonchalantes ou boiteuses, à la recherche de papiers, de morceaux de carton ou de tas de fleurs fanées qui ont servi aux offrandes.

 

A l'entrée d'un restaurant où nous buvons le tchaé (thé), une vache s'est approchée d'un large pot de sucre. Gourmande, la vache, raffinée mais culottée, elle s'enhardit à tremper dans le pot de sucre une langue baveuse, sans s'inquiéter du cuisinier qui lui tourne le dos. Les yeux fermés, elle en prend tout son saoul puis se retire. A part nous, personne ne semble avoir remarqué la scène. Ou bien personne ne s'en est formalisé…

 

 

AJMER

 

Toujours plus en avant vers l'ouest, vers cette Cité du Désert, la dernière ville du Rajasthan aux confins de l'Inde et

du Pakistan : Jaisalmer . Nous l'atteindrons peut-être dans une semaine, pour le festival de la pleine lune.

 

Pour aujourd'hui, le bus nous dépose dans cette petite ville d'Ajmer, à mi-chemin entre Jaïpur et Jodhpur.

C'est une région sainte, à la fois pour l'Islam et pour l'Hindouisme.

Les pèlerins musulmans viennent se recueillir dans le sanctuaire de Darfah-i-sharif qui renferme le tombeau du très vénéré Chisti (Fondateur du Soufisme Chisti en Inde) et à 12 Km au Nord, ce sont les Hindous qui font leurs ablutions dans le lac Pushkar ; lac sacré parce que jailli d'un lotus tombé de la main de Brahma.

 

*

 

On gagne le centre de la ville en calèche. L'Islam ici, est plus qu'influente : elle est reine. La tradition arabe est visible dans les souks, dans l'écriture, dans les yeux des femmes voilées et retrouve sa plénitude, sa pureté dans la voix du muezzin.

 

 

PUSHKAR

 

 

 

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Pushkar a la particularité d'être la seule ville sainte de l'Inde dédiée à Brahma, premier

Dieu de la trinité hindoue, bien que les deux autres, Shiva et Vishnu y soient aussi vénérés.

 

Comme un chien dans sa niche, dans la fraicheur de l'obscurité, un vieux saddhu poursuit

inlassablement sa quête, son seul but : vivre en union avec Shiva pour le servir et l'adorer

de la manière la plus austère qui soit. Une vie de renoncement total à tout plaisir matériel

et à toute attache, bercée par le yoga, la prière, les offrandes, les ablutions et les pèlerinages.

Un mode de vie que l'on appelle Ascèce et que l'on s'abstiendra de juger, nous, occidentaux,

qui venons d'un autre monde.

 

*

 

Nos jeans commençaient à nous faire sentir leur étroitesse et leur rigidité, nous rappelant

que nous voyageons dans un pays particulièrement chaud et que nous ferions bien de les

ranger au fond du sac. On s'achète nos premiers pantalons indiens, coton amples, légers, pratiques. 

 

 

 

*

 

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Le marché aux chameaux, le pèlerinage qui a lieu en novembre et le pittoresque de cette

région, attirent et continueront d'attirer jusqu'à en perdre haleine, cette vague de touristes,

dont nous faisons partie, qui transforme tout sur son passage.

 

Les hôtels se modernisent, les restaurants proposent les inévitables steak-frites et

breakfasts variés. Les boutiques semblent faire de l'or. Des tapis, des tentures Rajputs,

des statuettes soit-disant rares, des objets précieux en tout genre, des ''souvenirs d'une terre lointaine'',

des bouquins français, anglais, allemands, espagnols, italiens ; des richesses du désert

qui donnent un air de fête dans la rue principale.

 

  

 

*

 

 

 

Ce soir, en revenant vers notre hôtel, au détour d'un porche, on perçoit les bribes d'une ambiance rythmée. Une fête ?

On descend les escaliers, on nous fait signe d'entrer ; on se déchausse comme le veut la tradition, on entre. 

On aurait dit qu'on n'attendait plus que nous ! On nous reçoit à bras ouverts ; nous nous asseyons avec eux, tandis que le chant a déjà repris, guidé par la voix et l'harmonium d'un européen.

 

D'autres instruments marquent le rythme hypnotique des mantras que tout le monde reprend derrière l'Anglais.

Chacun chante avec son coeur, avec abandon, les yeux fermés, illuminé par l'effet des mantras et des shilums de shiva qui s'allument à chaque nouveau chant.

 

*

 

Assis sur nos sacs dans le hall de la gare d'Ajmer, nous attendons notre bus pour Jodhpur.

  

Dans cette cour des miracles qui ressemble à tous les halls de gare de l'Inde entière, on

ne peut qu'ouvrir les yeux pour voir et les oreilles pour écouter cet amalgame de sons,

de couleurs, d'odeurs. Le cri monotone, répétitif et le regard du vendeur de tchaé, les

pleurs d'un enfant qui cherche sa mère, la plainte d'un mendiant et toujours le mélange épais

de klaxons, de bourdonnement de moteur, de radios saturées. Des femmes, aux allures

de gitanes, accroupies avec leurs bébés, enchaînées dans leurs colliers, leurs bracelets,

leurs boucles, attendent comme nous, recroquevillées sur leurs balluchons. Dans un

creux, un recoin, n'importe où, les dormeurs sous leur toile de coton, patientent à

leur façon, indifférents à la foule qui se presse, les enjambes, les ignore.

 

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Un chauffeur de taxi et son passager sont venus nous trouver. Ils ont su qu'on attendait

le bus de Jodhpur. Ils nous proposent, pour le même tarif, de faire le voyage avec eux,

en voiture.

 

On accepte l'opportunité avec plaisir, tout le monde est content ; nous, ça nous change du bus et

ça nous fait partir plus tôt.

  

*

  

En chemin, on s'arrête pour prendre de l'essence, pour s'étirer et se rafraîchir dans

un restaurant où l'on rencontre un couple de touristes français, eux font le chemin

en sens inverse. Ils reviennent de Jaisalmer, vont vers Delhi pour reprendre leur avion sur Paris.

Un voyage d'hivers au Rajasthan pour un séjour de deux semaines qui tire à sa fin.

''et vous ?''

- Nous ? On a tout notre temps. Plusieurs mois en Inde, ensuite on ira bien

faire un tour au Népal, peut-être même au Tibet, plus tard la Thaïlande. Bref, on n'est

pas encore rentré. Le voyage n'en est qu'à ses débuts, la vie est belle !"

 

 

*

   

JODHPUR

 

 

Jodhpur nous sert d'étape. Nous y passerons seulement la nuit. Nous avons hâte de nous sentir en plein désert.

 

Nous sommes d'ailleurs juste à la lisière des grandes étendues pierreuses, à la porte du désert du Thar, à 300 km de Jaisalmer.

 

Le bus est plein à craquer quand on arrive à la station. On se demande si on ne va pas

remettre à demain ce voyage de quatre ou cinq heures qu'on peut effectivement faire

aujourd'hui, mais debout. Mais comme les choses s'arrangent souvent d'elles-mêmes,

le problème finit par ne plus se poser. On nous laisse monter sur le toit du car. On se

fait une petite place parmi des sacs, des valises et des pneus.

 

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Nous voilà donc installés comme des pachas, pour la traversée du grand désert. Ce soir,

nous serons à Jaisalmer. Inch'Allah !

 

 

*

 

 

JAISALMER

 

On arrive à Jaisalmer à l'époque de la pleine lune, en plein festival du Désert, une fête

annuelle qui attire durant plusieurs jours, outre les touristes, des gens de régions reculées

venus pour assister aux manifestations de danses et de musiques traditionnelles.

 

On pénètre à l'intérieur de la forteresse par une porte assez impressionnante. Les dalles

sont polies par le passage de plusieurs siècles ; dans les ruelles de plus en plus étroites,

au fur et à mesure qu'on monte, la grande époque du Moyen-Age paraît toujours présente,

marquée sur le bois des portes cloutées, des façades sculptées, réellement vivante dans

le fond de ce bric-à-brac de petits châteaux, de temples, de murailles et d'ouverture sur le désert brûlant.

 

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Des remparts massifs, jalonnés de tours, enserrent la ville orgueilleuse ; une citadelle

surgit des sables qui tient face à l'horizon et lutte depuis 800 ans contre les vents de

poussière et l'usure des temps.

 

Mais les temps ont changé car ce grand relais caravanier de l'Orient où s'enrichissaient

et s'affairaient les seigneurs comme les marchands, depuis des siècles, cette cité du

commerce cosmopolite n'a plus aujourd'hui de raison d'être : le développement du port

de Bombay a entraîné le déclin des transports par voie de terre.

 

Jaisalmer s'éteint lentement au fil des ans, à moins que le tourisme n'ait déjà entrepris

de la réveiller ….

 

La ville qui compte un nombre important de temples, de mosquées, d'autels de toutes

dévotions, est en particulier un de ces hauts lieux de culte Jaïn. Le sanctuaire est poli,

luisant de propreté, chargé de colonnes, de sculptures, de plafonds pesants et des

centaines de statues de toutes les tailles représentant l' ''Etre'' en position du lotus :

Bagwan Jaïn.

 

 

 

 

 

Les adeptes passent leur vie à enduire le font et la poitrine de leur divinité avec de la poudre de santal, à prier et à méditer. Mais l'aspect fondamental des Jaïnistes, le principe élémentaire de leur religion, c'est la non-violence.

Les quatre autres principes sont la chasteté, ne rien posséder, ne rien acquérir, dire la vérité.

 

Haïmsa, la non-violence, l'un des premiers préceptes de Gandhi, se trouve ici, au sens profond, de façon sacrée, respectée jusqu'à la limite du naturel.

 

Les moines respirent à travers un voile pour ne pas risquer d'avaler le moindre insecte et se déplacent en époussetant devant eux leur chemin avec un léger plumeau pour épargner toute vie animale.

 

* 

Sur fond de nuit claire, l'estrade du festival de Jaisalmer reçoit ce soir des musiciens et des danseuses qui nous m ontreront à quel point est présent, dans ces régions silencieuses, le caractère spirituel et presque hypnotique de leur danse.

 

Un public séparé – les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, les touristes étrangers à part – une phrase musicale lancinante qui berce le mental sans l'endormir et une danseuse tournoyante et envoûtante comme un dervich tourneur.

 

Le festival continue le lendemain à Sam, à 30 km de Jaisalmer. Ils ont fait les choses en grand : des décors de théâtre sur les dunes de sable qui serviront ce soir à un spectacle de sons et lumières, un coucher de soleil, une pleine lune.

 

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On se roule dans le sable liquide, on écoute le silence ouaté du désert et l'on fait du chameau.

 

 

 

*

 

Sur la terrasse de notre hôtel, pour ce dernier soir dans le désert du Thar, on contemple, fasciné, le plus somptueux décor que le soleil et le désert puissent nous offrir. On a la sensation nette de se trouver au centre d'une coupole céleste aux couleurs infiniment pures. Une étoile brille, une seule, comme par enchantement.

 

 

 

*

 

UDAÏPUR

 

 

''La Cité du soleil levant'' – Udaïpur, une cité blanche avec son lac et son palais, ses rues étroites et vivantes, ses temples et la douceur du climat ; ''c'est l'une des villes les plus attractives du Rajasthan sinon de l'Inde''.

On y restera une journée pour y flâner avant de reprendre notre route vers le sud via Bombay et les plages de Goa.

 

 

 

 

 

Une classique visite au City Palace, un labyrinthe de halls, de salons, de jardins, de murailles de granite et de marbre qui plongent dans les eaux claires du lac Pichola ; un palais princier à la dimension des Maharanas, les Maharadjas les plus prestigieux puisqu'ils viendraient tout droit du soleil.

 

On dit que le dernier Maharana pleure aujourd'hui les richesses de sa dynastie ruinée depuis l'indépendance de l'Inde.

On ne s'en fera pas trop pour lui ; il possède encore, parait-il, trois Rolls, 150 serviteurs et partage son temps entre un hôtel particulier à Londres et son palais à Udaïpur.

 A l'heure de l'Arti, le temple de Vishnu attire les fidèles pour les offrandes et les mantras

du soir. Les mains jointes en signe de dévotion, chacun chante parfois très fort, parfois très faux, la prière du soir.

 

Un brahman agite une clochette. Un autre fait ondoyer dans l'air une queue de yack en bâillant, les yeux dans le vague et l'esprit ailleurs comme lassé par l'habitude de ce

sacrifice quotidien.

 

Pour donner le change à ce gentil circuit touristique qui, tranquillement depuis le début, nous dorlote d'hôtels en restaurants et peut-être aussi pour jouer avec le destin, on décide de tenter le stop jusqu'à Bombay.

 

Voyage qui sort de l'ordinaire, mais pénible, interminable à cause des arrêts dûs aux problèmes mécaniques de notre pauvre camion.

 

On passera deux jours et une nuit dans la cabine, recroquevillés, somnolents, endormis ou songeurs, ressassant des réflexions sur le passé et le présent, imaginant le futur ou méditant sur la route qui défile dans la lumière des phares.

 

 

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*

 

 

BOMBAY

 

 

Nous y voilà enfin, après 800 Kms, dans le ventre de cette grosse ville dont le nom résonne comme Calcutta, avec un écho de misère poisseuse.

 

 

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On a en tête des bribes de commentaires sur les bidonvilles ; on sait la stupeur de certains

touristes débarquant d'Europe dans cette ville, cependant, on y sera moins sensibles que

d'autres ; le souvenir de Old Delhi dès les premières heures de notre arrivée en Inde, est

encore tout frais – et en fait, définitivement mémorable.

 

Cette grande métropole maquillée à l'occidentale, avec son port, ses gratte-ciel, ses avenues,

ses grands magasins, ses hommes d'affaires pressés,en complet-veston, ses bus double-Deckers, est bien moins intimidante que l'on imaginait.

 

Au début, dépaysement en sens inverse. On se promène sans déplaisir dans les quartiers propres, londoniens de Malabar Hill ; on se revoit sur la croisette à Cannes. Mais comme

nous sommes en Inde, on passe presque sans transition de l'esplanade du Taj Hôtel aux trottoirs débordant de milliers de gens, cet entassement grouillant d'êtres humains qui

est l'aspect normal d'une rue indienne, avec son éternel spectacle caractéristique : ses

odeurs d'ammoniac, d'urine et d'encens, ses haut-parleurs métalliques qui déversent un

flot mielleux et criard, klaxons stridents, ininterrompus ; il y a aussi le barbier, le

cordonnier accroupi, les mendiants, infirmes défigurés, le marchand qui pousse devant

lui sa charrette de nourriture fumante et couverte de mouches, celui qui crache un sanguinolent jet de salive rougi par la feuille de bétel, les dormeurs recouverts de

poussière dans les rues les plus animées, celui qui, avec des aiguilles et des yeux perçants,

nettoie les oreilles, celui qui se mouche dans ses doigts qu'il essuie à ses vêtements ;

chiens squelettiques, eaux croupies, chaleur, misère, puanteur, putréfaction.

 

Il y a ces ''huttes'' improvisées que l'on retrouve même dans les grands quartiers de

Bombay, accrochées à un mur comme des champignons.

 

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Des tentes de chiffon, de carton, de matelas, de tôles ondulées, de toiles de plastique qui

flottent au vent, des cylindres de canalisation. Chacun s'abrite comme il peut !

 

Des tas d'ordures abandonnés, les rigoles d'eaux polluées, les mouches, les moustiques,

la crasse, la misère est en eux, indélébile et naturelle de génération en génération.

 

 

 

*

 

 

On a rencontré un français. Un pauvre type qui n'a pas l'air de comprendre très bien

dans quelle situation il se trouve, ni de s'en inquiéter. Il a tout perdu : argent, passeport,

billet d'avion, son sac, ses chaussures. Il erre au hasard, à la recherche de quelques

roupies, une natte de paille enroulée sous son bras et une bonne tête joviale qui semble

dire ''là ou ailleurs …. '' ça fait trois mois qu'il vit ainsi, provisoirement et sans souci

pour le lendemain.

 

 

*

  

Ce soir, une fois de plus, l'Inde se révèle gracieuse et mystérieuse. On a beau savoir que

c'est une soirée sélectionnée et présentée par le célèbre Taj Hôtel et qu'elle s'adresse plus

ou moins à des occidentaux cravatés, il n'empêche que ce spectacle de danse classique

indienne (Baratha Natyam) nous apparaitra jusqu'à la fin, comme un véritable rituel sacré, sincère et

spirituel à l'image de tous les arts indiens.

 

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On dit que, grâce au langage complexe et magique de '' l'Abhinaya'', (ces mouvements

hyper-synchronisés du corps, de la tête, des yeux, des mains) la danseuse n'est plus que

le sublime intermédiaire entre les hommes et les dieux.

 

 

 

*

 

 

''Une plongée dans le moyen-âge'', mentionnent les guides. Un de ces quartiers de Bombay qui conserve l'allure d'un village de pêcheurs et la misère des grosses villes. Un bassin sacré pour les ablutions, quelques temples autour, des baraquements de terre battue, une ruelle étroite où l'on nous fait s'assoir et nous sert le thé. Ce n'est pas la première fois que des touristes passent par ici : les enfants sont déjà intoxiqués par cette contamination que distribuent gentiment, généreusement, à droite et à gauche, selon l'insistance, ou l'acharnement, certains touristes.

Ceux-là ne réalisent pas la gravité de cette maladie qu'ils entretiennent : la mendicité infantile.

 Un de ces gosses s'accroche à nous et nous suit en répétant la même plainte ''one roupie'' jusqu'à la limite du supportable. Il en est conscient : sa technique a déjà fait ses preuves.

 

 

*

 

On se fixe quelques objectifs de visite aux quatre coins de la ville pour tenter d'avoir une

vue globale de différents quartiers en un minimum de temps, on ne tient pas vraiment à s'éterniser par ici.

 

Du Chor Bazar au Javeri Bazar, du Mémorial de Gandhi à une exposition de peinture

''grosses taches'' ; un crochet vers le parc des cinq tours du silence, ces fameuses

constructions (interdites aux curieux) au sommet desquelles les Parsis déposent leurs

défunts pour les livrer aux vautours, la mort ne devant souiller ni la terre, ni le feu,

d'après la religion de Zarathushtra ; (les vautours dans le coins sont énormes, parait-il)

un tour au port pour acheter les billets du bateau ; ça nous changera des bus, des camions, de la ville. On a hâte de partir goûter l'exotisme des plages en plein mois de février !

 

 

*

 

Bombay – Goa. 650 Kms de mer bleue, avec, pour le même prix, un lever et un coucher de soleil tropical, une nuit étoilée et des rêves plutôt étranges.

 

*

 

GOA

 

 

Un nom qui vibre toujours et fait rêver encore aujourd'hui de St-Michel à Dam Square

comme un symbole de la ''grande époque'' ; celle des années 70 et du mouvement hippie.

 

Callengute,Anjuna, des plages au nord de Goa qui continuent d'attirer, comme un lieu de pèlerinage, le soir de Noël, tout un petit monde de passage : routards et freaks de tout poil,

milliardaires et junkys de tout âge, étudiants, intellos, mystiques, excentriques et autres

touristes.

 

Les anciens nostalgiques, viennent se remémorer ''les acides party'', les concerts sur

la plage et les soirées fraternelles où l'on ''y'' croyait sans l'ombre d'un doute.

 

En 86, l'ambiance parait-il, n'a plus rien à voir avec celle de 70, ce n'est pas une nouveauté ;

ici, même sur ces plages de rêve, la légende dorée des hippies a mal vieilli.

 

 

 

*

 

 

 

De Panjim, on prend un bus vers le sud. On traverse des forêts de cocotiers, des rizières

ensoleillées, une région bien verdoyante, qui sent bon les tropiques avant d'atteindre

la petite ville très vivante de Margao ; le nom sonne bien par ici : Goa est un ancien

comptoir portugais et les habitants sont, par leur sang et leur culture, à la fois indienne et latine. On se sent en marge de l'Inde, on pense au Brésil.

 

Il fait chaud, les sacs semblent lourds, on se paie le luxe de prendre un taxi pour parvenir

à Colva-Beach, une plage au sable clair, bordée de cocotiers et déserte sur des kilomètres.

 

 

 

 

*

 

 

BENAULIM ( GOA )

 

 

 

 

La plage sauvage de Kolva n'est pas aussi déserte qu'on se l'imaginait. Bien sur, c'est

encore loin de ressembler à la Costa Brava, en plein mois d'août. Ici, les structures

touristiques sont inexistantes si ce n'est une cabane bambou en bord de plage où l'on peut consommer des fantas et des ''plats occidentaux''.

 

En fait, trop de monde pour jouer à Robinson. On entreprend de suivre la plage vers

le sud après s'être trempé les pieds dans l'eau chaude de cette mer d'Arabie. Le sable

est brûlant, le soleil cogne et le vent salé nous pique le visage déjà rougi.

 

On passe quelques adeptes du bronsing, corps brûlés, immobiles, suintant l'ambre solaire.

On achète des fruits à ces femmes qui parcourent de long en large toute la plage avec un

panier sur la tête pour ravitailler en papayes, cocos, oranges, ananas, les touristes que

nous sommes.

 

Enfin, après plusieurs kilomètres, on finit par poser les sacs à l'intérieur d'une cabane de

palmes apparemment abandonnée.

 

L'ombre dessous est fraîche et soulageante. L'endroit est plaisant, presque serein à cause

du calme, de la taille des cocotiers, du croassement des corbeaux, de la mer qu'on entend

murmurer derrière cette petite dune.

 

 

*

 

 

En cherchant du bois, on a remarqué derrière un bosquet de cocotiers, une maison fleurie, ravissante par son isolement. On en priofite pour aller demander de l'eau.

 

On nous reçoit comme des princes venus de loin. Installés sur une planche de bois qui

sert de lit, nous nous retrouvons devant un plat de riz en sauce, répondant par geste

aux questions qu'on nous pose. La femme, le mari, les enfants, du plus petit au plus

grand, tour le monde nous regarde manger en riant de nos réponses. Le père égaie un

peu plus la situation à coups de grands verres de feni, un alcool de coco qu'il a fait lui-même,

sec et brûlant comme du feu.

 

La soirée passe ainsi et puis la petite famille nous raccompagne dans la nuit en insistant tout le long du chemin pour qu'on prenne nos sacs et que l'on revienne chez eux dormir.

 

Hospitalité totalement désintéressée, naturelle, spontanée. On les remercie pour tout, en leur offrant un ananas. L'homme, avant de partir, nous donne un bâton, lourd et solide. On ne

sait jamais, avec tous ces brigands.

 

 

 

*

 

 

 

Un réveil en douceur dans l'eau tiède de la mer d'Arabie, pour accueillir le soleil levant et la paisible journée qui nous attend. Des pêcheurs sont là sur la plage, près de leur catamaran,

décortiquant les poissons du filet et commentant leur pêche, aidés par les femmes, les

enfants et le feni matinal.

 

 

 

*

 

 

 

Le soleil est plus rapide que nous : avant qu'on ait eu le temps de se protéger, il nous

en a mis un coup dans le dos, sur la nuque et le nez. On aura du mal à s'en remettre.

 

 

*

 

 

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En coeur, en cadence, on pousse la lourde pirogue qui glisse sur les bois graisseux placés sous la quille, unique moyen de la mettre à l'eau. Les deux pêcheurs nous proposent de partir

en mer avec eux. Une nuit de pêche pour en savoir un peu plus sur la pratique de l'un

des plus anciens métiers du monde. Dès que le bateau commence à flotter, on grimpe,

s'installe près des sacs. Le vieux moteur pétarade et nous voilà partis droit vers le soleil.

Nous ne reviendrons sur la terre ferme que demain, à l'aube.

 

 

*

 

 

Quand on arrête le moteur, le crépuscule disparaît sur l'horizon, les côtes au loin se

dissipent dans les brumes de chaleur et le grand calme du large nous écoute.

 

Un heure durant, on met à l'eau le filet qui n'en finit pas d'être long. Après quoi, à la

lueur de la lampe à huile, chacun dans son coin mange sa plâtrée de riz au poisson,

repas arrosé de féni, cet alcool qui se boit au flacon et qui descend vite car tout le

monde trouve ça très bon.

 

A quatre, on a juste assez de place pour se recroqueviller. On essaie de s'endormir ;

dans quelques heures, il nous faudra remonter le filet. Les planctons illuminent la

 

profondeur de la mer, les étoiles la profondeur du ciel. Et nous, flottant sur la limite

de ces deux royaumes que l'on ne connaît pas.

 

On nous réveille. Il est l'heure de tirer à nous le filet avec toutes ses prises. Sitôt debout,

je sens la classique nausée du mal de mer. Dans l'eau, ça fait des heureux. Lentement,

longuement, on sort de l'eau des kilomètres de filet, des kilos de poissons de toutes sortes,

de toutes tailles. Certains sont phosphorescents, d'autres gélatineux. Il y en a qui

''parlent'' (!), qui piquent, mordent. On revient au petit jour, chargés de ce trésor qui

sera vendu tout à l'heure au marché de Margao.

 

Il nous faut repousser le catamaran sur la plage, enlever le poisson du filet. Les femmes

des pêcheurs nous apportent du pain, du thé qu'on déguste chacun son tour, car il n'y a

qu'un seul verre.

 

 

*

 

 

 

Nos deux pêcheurs nous ont laissé quelques poissons dont un petit requin. On fait cuire

tout ça sur des braises, on boit du lait de coco et, en regardant la mer, on repense à cette

nuit dont on aura plaisir à se souvenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

*

 

 

La vie sur une plage tropicale nous incite sinon nous oblige à ne rien faire d'autre que

la sieste, pour récupérer un peu de sommeil, ou le bain pour se rafraîchir : farniente sur

toute la ligne.

 

 

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Au réveil, une femme et des enfants nous offrent des fruits, pour le plaisir, en plus de

leur gaieté. On n'en demandait pas tant.

 

 

 

 

Cette petite vie tellement plus inutile et facile que celle d'aller travailler normalement en banlieue parisienne, en cette époque de l'année, a ceci de particulier : on y prendrait goût !

 

 

 

*

 

 

De retour à Kolva Beach, on retrouve une petite faune de routards dont un Canadien

Québecois que l'on avait déjà rencontré à Rishickesh en début de voyage.

 

Il nous parle d'un petit coin de paradis encore ignoré des tours opérators : Palolem. C'est

une plage idyllique au sud de Goa, inconnue de la plupart des routards. On peut lui faire

confiance, c'est un vieux de la vieille, il connaît bien le coin.

 

 

*

 

PALOLEM ( GOA )

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Un bon plan que d'avoir écouté ce Canadien ! Elle existe donc réellement cette fameuse

plage de sable blanc qui fait rêver dans les banlieues et que l'on affiche en posters dans

les agences de voyages.

 

C'est une belle crique très ronde, prolongée à droite par une île et naturellement bordée

d'une forêt touffue de cocotiers. Le village de Palolem s'y trouve dissimulé dans la fraîcheur

de l'ombre.

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Un bras de mer rentre en lagune recouvrant le lit d'un petit fleuve. L'eau y est lumineuse et

claire comme celle de la roche, turquoise ou émeraude en profondeur. Les oiseaux sont là aussi pour accueillir les deux parisiens dans le rêve des tropiques.

 

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En face, au centre de la baie, un voilier deux mâts mouille dans l'eau calme, majestueux.

Et dans tout ce décor exotique, les habitants de Palolem, le plus naturellement qui soit,

vivent depuis des générations, la gaieté de leur nature.

 

 

 

*

 

 

 

Sur la lisière de la plage, une case de palmes nous sert d'abri pour la nuit. A la lueur de

la bougie, la carte dépliée, on se rappelle les différents épisodes du voyage. Cela fait

juste un mois que l'on a pris la route. Un mois déjà, quatre semaines seulement !

 

Le temps sur la route n'a plus d'autres repères que ceux que nous montrent ces horloges

naturelles : le soleil et la lune. Sans montre, on se porte bien. Chaque jour est unique, chaque semaine est tellement différente de la précédente et, se confondant d'ailleurs l'une dans

l'autre parce que, sans rappel temporel comme le week-end, il nous est plutôt difficile

de se donner une idée, même vague, sur la vitesse du temps.

 

 

 

 

 

 

Pour peu qu'on resuive sa pensée, l'itinéraire tracé depuis le premier jour, on s'aperçoit

que cette période d'un mois s'est ''rallongée'', à tel point qu'on a l'impression d'être parti

il y a trois mois. Voilà la magie du voyage : le temps et l'espace sans limite, sans

structures. Les souvenirs en sont d'autant plus nets et plus clairs. Mais ce qui nous plait,

dans tout ça, c'est que nous n'en sommes qu'au commencement.

 

 

*

 

 

Vivre ici ? On pourrait ne pas hésiter. On pourrait ne plus repartir, rester indéfiniment quand la mer est tiède, quand on vient nous offrir des fruits inconnus et succulents, quand on se

baigne la nuit dans les vagues lumineuses de planctons phosphorescents, quand on voit

très nettement la voie lactée et que les gens ici semblent heureux.

 

 

 

 

Mais l'appel de la route reste plus fort que l'exotisme le plus souriant. Ce matin, tout

vibrant par le départ, on reprend les sacs et la route vers le sud. Adieu Palolem!

 

 

*

 

 

COCHIN

 

 

Des heures de bus dans la tête, du sommeil plein les yeux, on sort de la bus-stand pour

rentrer dans un hôtel, juste en face, dans lequel on passera le reste de la nuit à se gratter

et à râler dans le sommeil contre ces saletés de moustiques.

 

 

*

 

 

Mangalore, Calicut, Cochin, 700 Kms en longeant les côtes de Malabar ; on continue

donc notre descente vers le sud, vers la pointe de cet énorme triangle du sous-continent

indien. Depuis Mangalore, nous sommes entrés dans une région dense de cocotiers,

verte et sauvage comme une forêt vierge : le Kérala.

 

 

*

 

Aujourd'hui, mon pied gauche a perdu sa sandale. J'en suis à ma deuxième paire. Incident

banal mais qui a pour conséquence de me laisser l'occasion de marcher comme la moitié

des indiens que l'on croise ici, c'est-à-dire pieds nus. Je prends ça comme une expérience

agréable car je dois dire qu'il me plait bien de fouler directement avec la plante de mes

pieds, cette vieille croûte terrestre, de toucher le fond des choses.

 

Je resterai ainsi pieds nus jusqu'à Madras. Mais l'habitude n'est pas si fac ile à prendre. La chaleur parfois est tellement intense que le goudron est fondant et le pied trop sensible.

 

Il faut alors courir jusqu'à un point d'ombre qui sert de relais et qui donne, juste au moment

de repartir, une impression unique en son genre : celle de prendre son courage à deux pieds !

 

*

 

 

 

KOVALAM

 

 

C'est une plage vantée par tous les guides, qui commence à prendre de ce fait, les allures hautaines d'une station balnéaire à la mode.

 

Hôtels, banques, restaurants et locations de pédalos, chacun y trouve son compte et son

plaisir, pourvu que l'hiver soit tropical et que la grande saga du tourisme batte son plein.

On repense tout doucement à Palolem et, comme ça va de soi, on laisse derrière nous

ces odeurs de frites et de nivea.

 

 

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On arrive, après une heure de marche, en longeant la plage, devant une mosquée qui, de loin,

dans le flou de la chaleur, apparaissait irréelle comme un mirage. Une petite mosquée qui

jure par sa blancheur, la grandeur de l'Islam aux bleus du ciel et de la mer.

 

A l'entrée, dans l'ombre du porche, un jeune homme, assis sur ses talons et la tête dans ses

mains, se balance tranquillement et parle dans sa barbe. C'est après coup et avec stupeur,

que l'on remarque la chaîne qui le tient prisonnier par la cheville à une des deux colonnes

de la mosquée.

 

On lui demande des nous expliquer, mais ses réponses ne sont que marmonnements dans

un anglais incompréhensible. Sa mère vient lui apporter son repas, une plâtrée de riz

qu'elle dépose par terre devant lui. Cela nous fait mal de voir ce type enchaîné. La situation

est carrément surréaliste : tout le monde a l'air de trouver ça normal, même la mère qui rit

aux éclats quand son prisonnier de fils murmure quelque chose. Pénitence religieuse ?

Exorcisme ? On n'en saura pas plus.

 

 

*

 

 

8 Kms entre chaos de rochers, douceur des plages, un village de pêcheurs et encore des rochers avant d'atteindre cette crique de sable fin que l'on pointait du doigt tout à

l'heure, depuis la mosquée. La plage n'est pas déserte. Quelques pêcheurs réparent leurs

filets et entretiennent leur barque. Les touristes, on ne risque pas d'en rencontrer par ici.

La plage descend abrupte. Les vagues s'y cognent en fracas et se retirent en aspiration.

Il faudra prendre le coup d'y rentrer au bon moment.

 

 

*

 

 

On se sentait sans aucun doute, les seuls étrangers à des kilomètres à la ronde, bien loin

d'imaginer que là-haut, depuis la petite corniche qui nous domine, on nous observait aux

jumelles. Il a fini par descendre jusqu'à nous, avec ses deux chiens, pour nous voir de plus

près et nous invite à boire le thé dans sa demeure de prince. Cela lui fait plaisir ; nous,

on est curieux. On les suit donc, lui, un Allemand ventripotent, d'une quarantaine

d'années, et sommes toute, sympathique, avec ses deux chiens.

 

Le chemin traverse un jardin escarpé, ombragé de cocotiers. La maison est là, comme si elle avait toujours existé. Royale par sa situation et discrète par la verdure des plantes. On entre par un salon qui respire le bien-être de l'exotisme avec ses ouvertures en arcades donnant sur la mer. Il nous explique en nous faisant visiter, qu'il loue cette ravissante maison à un couple

de riches allemands, pour 300 roupies par jour, soit 6000 francs par mois.

 

 

 

 

 

Il vit là, depuis trois mois, comme un roi passant son temps sur un hamac et grignotant des

fruits que viennent lui apporter ses domestiques, sa cour qui lui donne ses repas, lave son

linge, le distrait , le dorlote.

''Encore un peu de thé ?'' On se sent bien ici, le gars est à nos petits soins. Dans les fauteuils du salon, on discute de tout et de rien, en dégustant des Jack-fruits, sorte de noyaux recouverts

de pulpe orange et qui ont le goût exquis et la douceur des tropiques. Pour la photo, je

m'allonge dans le hamac ; en toile de fond, les cocotiers, la mer et le soleil couchant. Je suis

presque sûr qu'il ne doit pas aimer penser à son retour en Allemagne, si retour il y a.

 

 

*

 

 

Cap Comorin. Cette fois, nous y sommes sur la pointe de l'Inde, sur ce bout du monde.

Devant, il n'y a plus d'autre terre que l'Antarctique. C'est là que la mer d'Arabie rencontre l'Océan Indien. Des marchands de souvenirs des temples, un sanctuaire dédié au Mahatma

Gandhi, puisque c'est ici que ses cendres ont été dispersées par les vents marins ; rien d'autre

de particulier, si ce n'est l'aspect symbolique de ce point de notre itinéraire : nous commençons la remontée vers le nord.

 

D'abord, avec Maduraî , Madras et peut-être le centre de l'Inde, en direction de Calcutta.

On a envie de tout voir. Néanmoins, il y a une date importante qu'on ne perd pas de vue :

le 14 Avril, ce Grand Jour de la Kumba Méla à Hardwar où nous nous sommes promis de revenir. Nous avons juste un mois devant nous et des milliers de kilomètres à parcourir.

 

 

*

 

MADURAÏ

 

 

Une vieille ville indienne âgée de 2000 ans, bâtie autour du temple le plus impressionnant de l'Inde : le temple de Minakchi, la déesse aux yeux de poisson qui n'est autre qu'une des innombrables splendeurs de Shiva lui-même.

 

On entre dans cette véritable ville par un porche flanqué de pyramides oppressantes de couleurs, enchevêtrement de statues, grappes de têtes et de bras pullulants d'étage en étage,

jusqu'au sommet. A l'ombre, devant le bassin des ablutions , vieillards et mendiants

discutent, dorment ou s'enivrent de prières. On continue notre incursion dans les profondeurs

obscures de ces immenses galeries, couloirs embrumés d'encens où résonnent depuis

vingt siècles, les sacrifices des incantations.

 

On reconnaît, dans l'oubli d'un recoin, entre colonnes sculptées et torches fumantes, parmi

les centaines de divinités de pierre à plusieurs têtes, à plusieurs bras, les grandes figures de

la religion hindoue : Shiva, Parvati, Hanuman et Ganesh et aussi Vishnu, Sita, Rama,

Krishna.

 

Au détour d'un couloir, on débouche dans une salle brumeuse éclairée d'un néon blafard.

Adossés au mur et à hauteur d'homme, des dizaines de statuettes habillées ou recouvertes

de pétales de fleurs ; dans une autre pièce, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre,

s'alignent devant l'autel pour y offrir des fleurs ou du riz bouilli ; l'emblème phallique de

Shiva, le Lingam, est lui aussi représenté sur une multitude d'autels. Les dévots, en offrande

leur versent du lait, du miel, du yaourt ou du beurre, allument un bâtonnet d'encens et

parfois s'allongent de tout leur corps, le front contre le sol.

 

 

 

 

Seul ou en famille, suivant le flot des fidèles , chacun va, s'arrête, offre, chante ou se recueille , descend au bassin ou se fait baptiser par la trompe sacrée d'un éléphant. Sous la

voûte qui balance, entre les colonnes des pattes et celle de la trompe, un dévot de Ganesh

passe et actionne d'un coup de main, la cloche qui pend au cou, comme pour marquer

clairement un passage dans la mémoire de l'éléphant.

 

Les prêtres brahmanes, crâne rasé, torse nu et cordon en bandoulière, sacrifient et marquent

le front de trois traits horizontaux avec de la cendre, selon les traces de Shiva, à ceux qui

le demandent.

 

Quand on ressort de ces profondeurs, il fait nuit. Dehors, l'effervescence des rickshaws,

des haut-parleurs, l'appel des marchands, les vaches, le monde ; on a retrouvé l'Inde

avec ses odeurs et ses bruits.

 

 

*

 

 

Ce soir, on s'offre le cinéma ! Ici, comme dans les autres villes, les salles ne manquent pas

et le prix des places permet que ce soit l'une des formes de distractions les plus populaires.

Il se trouve que l'Inde reste toujours le plus grand pays producteur de films au monde.

La qualité des films et l'originalité des thèmes s'en ressentent peut-être ; En tout cas, les

Indiens apprécient, il suffit de voir la cohue à l'entrée des salles et l'ambiance à l'intérieur.

Nous, on s'endormira au milieu du film.

 

*

 

 

TIRUCHIRAPALLI

 

On l'appelle communément ''Trichi''. Une autre ville sainte qui attire, comme Maduraî ,

des milliers de pèlerins. C'est à 8 Kms du Centre de la ville que se dresse le plus grand

sanctuaire sacrifié à Vishnu : le temple de Shrirangam.

 

Passée la grande porte pyramidale qui marque l'entrée, on traverse un bazar coloré qui

s'étend jusqu'à l'intérieur du sanctuaire. On y vend des fruits, des fleurs, des casseroles,

de l'encens et des affiches der Vishnu.

 

Avec leurs étalages débordants, les marchands dans le temple, entretiennent leur petit

commerce consciencieusement, honnêtement et toujours plus nombreux car personne

ici ne les chasse.

 

 

*

 

 

PONDICHERY

 

Un nom bien connu des Français, puisque jusqu'en 1954, cette ville a été l'un de nos cinq

Comptoirs Français des Indes. Il fait nuit, quand le bus nous dépose. On a quelque mal

à trouver un hôtel, ce qui nous permet d'avoir une vue sur la ville déserte, nocturne et

d'imaginer sans trop d'effort, que l'on vient d'arriver dans une de ces petites villes bien

françaises.

 

En rickshaw, on remonte des rues ''Romain Roland'', Dumas, Suffren'', passe devant la statue

de Jeanne d'Arc et le monument aux morts de 14-18, des rues propres qui se coupent à

angle droit, des quartiers chics très ''colonie des Indes'', l'église, la mairie, le collège français

et même la boulangerie. Manque bien sûr le bistrot pour clore la série des traditions, mais

la chaleur des tropiques incite plutôt à boire du thé et que ce soit à Pondichéry ou dans le

reste de l'Inde, ce n'est pas encore demain qu'on pourra trouver du ricard en vente libre ;

c'est un fait, l'Indien n'est pas buveur.

 

Le lendemain, dans l'une de ces rues, on rencontre un saddou. Un petit Indien ruisselant

de cheveux et de barbe, au regard net et à l'allure franche. Il s'assoit avec nous, pose à côté

de lui son pot à eau et sa couverture, allume un shilum après l'avoir porté sur le front.

Simplement, librement, on discute de Shiva, de voyage et de liberté. Nagaram Baba c'est

son nom, est un ''Sanyasi'' un saddou renonçant. Il a renoncé à toute attache, excepté celle

pour son Guru au Népal et bien évidemment, celle qui est la cause et la raison suprême de

ce renoncement : cette solide attache, définitive, au plus Grand Seigneur de l'Inde : Shiva.

 

A l'aube du matin, on se fait doucement réveiller par des chants religieux qui sortent de

l'église près des laquelle nous avons dormi cette nuit. De l'extérieur, on entrevoit cette

foule qui chante en fermant les yeux, avec tout son coeur. On roule nos duvets et encore

embrumé par le sommeil, on reste là, sur le pas de la porte, sentant le souffle de cette

chaleur, tellement présente en Inde, inexplicable, que l'on appelle la foi.

 

 

 

*

 

 

On a retrouvé notre saddou. On fera un bout de chemin avec lui pour l'aider un peu

puisqu'il fait route lui aussi vers Calcutta, puis vers Hardwar pour la Kumba Méla. C'est

simple, il nous demande un billet de bus jusqu'à Madras ; on lui donne l'argent, nous qui

en avons. On le lui donne, mais non pas comme on donne à un mendiant, par pitié ou

par charité, mais plutôt par respect. On sent que ces petits Français, plein d'orgueil que

nous sommes, sont tellement peu de chose à côté de lui, ce Saniasy qui nous fait l'honneur

de pouvoir l'aider à poursuivre son long pèlerinage vers la Kumba Méla.

 

 

*

 

AUROVILLE

 

On s'y arrête, car tout le monde en parle. C'est une ''ville du futur'', à quelques kilomètres

au nord de Pondichéry, un ashram géant, expérimental et connu dans le monde entier, en

raison des objectifs quer s'est fixé son fondateur, le philosophe bengali Shri Aurobindo.

On s'attend à trouver une ville, mais le centre se résume à quelques bâtiments plus ou

moins entretenus, répartis sur 50 Km2.

 

530 pèlerins vivent dans cette ''ville'' qui se veut sans argent, sans police, sans prison et

fondée sur l'art. Ils étudient, méditent et travaillent sur un énorme chantier, une sphère

de béton qui servira un jour de centre de méditation transcendantale.

 

Le projet progresse lentement. On dit que les fonds comment à manquer, que les tensions

entre les aurovilliens et la Shri Aurobindo Society marquent le déclin de cette grande

organisation financière administrative et peut-être spirituelle. Et pourtant, Auroville voulait

devenir ''une ville universelle'' où les hommes et les femmes de tous les pays pourraient

vivre en paix dans une harmonie de progrès.... sans aucune barrière de race, de croyance,

 

 

 

où chacun serait son propre juge et maître. Il faudra attendre encore quelques années

pour savoir si cette belle idéologie a encore un sens, si à long terme et à cette échelle,

elle est concrètement réalisable ou carrément utopique …..

 

 

*

 

MAHABALIPURAM

 

On a laissé Nagaram Baba, notre Saniasy, dans un bus de Madras. Il continuera ensuite vers

Calcutta à pied ou en camion, selon sa forme et la santé de sa bourse. On se retrouvera

peut-être à Hardwar, parmi les millions de pèlerins de la Kumba Méla.

 

Nous, on est descendu à Mahabalipura pour se baigner une dernière fois, car nous prenons

conscience qu'après Madras, nous rentrerons à l'intérieur des terres et ne reverrons la mer, que

vers la fin du voyage, en Thaïlande. D'ailleurs, les guides conseillent de s'arrêter ici

''en cet endroit d'une tranquillité nonchalante''. On y vient aussi pour les sculptures,

quelques ruines, les bas-reliefs archéologiques.

 

Sur la plage, un temple de pierre dédié à Shiva, résiste depuis 1200 ans à l'assaut des vagues

et des vents de l'océan. Mais depuis ces dernières années, la mer prenait le dessus. Alors,

pour protéger un peu, on a dû amasser devant le temple, des blocs de rochers pour former une

digue. En Inde, Shiva passe avant tout. On n'hésite pas à soulever des milliers de tonnes

de rochers pour protéger son temple, quitte à défier la puissance de la mer s'il le faut.

 

 

*

 

Vers le temple et sur la digue, il y a beaucoup de monde. Des touristes indiens endimanchés

sont venus voir le fameux temple sauvé des eaux. On va un peu plus sur la droite, pour

trouver la ''tranquillité nonchalante ''. Mais ça ne fait pas cinq minutes qu'on est dans

l'eau lorsque des gens nous appellent depuis la plage, en faisant des grands signes et en

montrant les rochers. On se dépêche de sortir de l'eau et là, on comprend qu'on a besoin

de nous, quelqu'un doit être sur le point de se noyer.

 

Pascal est retourné vers nos affaires, je cours vers les rochers puisque c'est par là qu'on

se presse. Je me remets à l'eau, je nage pour contourner la digue suivant les crus et les

signes que se font les gens là-haut, sur ces blocs de rochers noirs. La mer est agitée, je

ne suis pas un champion de natation : je suis déjà essoufflé.

 

Je me demande, en essayant de reprendre mon souffle, comment ça va se passer ; je sais

qu'il faudra assurer dans tous les cas, si je veux aussi m'en sortir moi-même. Les gens

sur la digue crient plus fort et me font des grands signes. Je ne suis donc plus très loin,

mais de quoi ? de qui ?

 

Je remarque que j'ai juste pied. Je cherche des yeux autour de moi dans l'eau, j'avance en

marchant, en nageant ; je ne vois toujours rien et là les gens crient et me font comprendre

que j'y suis. Alors, j'aperçois le corps d'un homme inerte, baignant au gré des vagues.

Le corps ne pèse pas lourd dans l'eau, mais la difficulté commence lorsque j'arrive aux

rochers naturellement glissants. Une vague tente de reprendre le corps qui me glisse

des bras. Je suis tout seul à me débattre contre les vagues. Pour la première fois de ma

vie, je vois les yeux blancs de la mort sur cette tête lourde que j'essaie de maintenir au-dessus

de l'eau. Enfin, quelqu'un arrive. Je commençais à trouver le temps long, à deux on s'en sort

un peu mieux. Quelques rochers plus haut, on vient nous aider. On renverse le corps vers le

bas : l'eau ressort abondamment. Trop de monde maintenant arrive pour soutenir un bras, une

jambe, la tête, un pied.

 

L'ambulance est déjà sur la plage. Je lâche le bras que je tenais, je crois qu'à présent ils sont

assez nombreux pour le porter. On me touche les pieds pour me remercier ; j'ai fait ce

que j'ai pu, comme j'ai pu, avec mon coeur, avec mes tripes.

 

En revenant sur la plage, je pense à ce destin mystérieux de chacun, un destin qui, parfois,

fait peur car tellement imprévisible. Quant au message ou à l'enseignement que je dois

tirer d'un moment aussi grave, je crois que je ne suis pas au bout de mes peines, pour en

sonder le contenu.

 

 

*

 

 

MADRAS

 

 

Après DELHI et BOMBAY, voici MADRAS, la troisième grande ville depuis notre arrivée

en Inde. Ce qui choque tout de suite, ce sont ces énormes publicités de films placardées tout

le long de cette grande artère, cette avenue moderne qui nous sert de repère, quant aux

restaurants, à notre hôtel et à la Post-Office.

 

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Madras est, avec Bombay, la ville productrice de films indiens. C'est ici que l'on finance

les tournages, que l'on attend son tour pour occuper les studios et que, commerce oblige, on

tourne en vitesse rapide.

 

Depuis une vingtaine d'années, la demande est forte, l'affaire bat son plein, même en dehors

du pays, puisque l'Inde exporte ses films aux quatre coins du tiers monde. Dans la salle,

l'action est à la fois sur l'écran et autour de nous. La foule réagit en coeur par des cris,

des rires, des applaudissements, toujours à l'unisson.

 

Pour le troisième film indien que nous sommes allés voir, le thème est aussi profond que

les deux précédents : le bon, un héros grassouillet aux prises avec les méchants, des salopards

à la mine patibulaire qui n'arrivent pas à empêcher la victoire des belles valeurs éternelles,

de la religion, de la famille et de l'amour mièvre. Encore une fois, crise de sommeil en

plein milieu.

 

 

*

 

Chaque vendeur assis sur ses talons attend que les heures passent. Chacun, sur un morceau

de tissu ou sur une feuille de journal a soigneusement disposé par valeur, classé en

éventail, rangé par catégorie des objets hétéroclites à moitié délabrés. Cela va du clou

rouillé et tordu au vieux réveil, sans aiguilles en passant par le boîtier de cassette

évidemment sans la bande. Mais ici, rien ne choque, c'est le marché aux puces de Madras.

 

 

 

*

 

 

Dans la chaleur de la journée, on s'arrête de marcher, pour déguster à l'ombre, un de nos

cinq ou six tchaés quotidiens. Sitôt assis, un type dépose sur notre table une pile de

bouquins anglais et quelques vieux magazines. A tout hasard, on lui demande des livres

français. Il hoche de la tête, reprend sa pile de bouquins et revient avec d'autres ouvrages.

 

Tout de suite, on remarque stupéfaits, le livre qui était justement notre sujet de conversation,

dix minutes plus tôt : '' Le Petit Prince'' de St-Exupéry. ''Quand le mystère est trop

impressionnant, on n'ose pas désobéir'' et comme en Inde les coîncidences deviennent

facilement des signes, on achète le livre, sans hésitation.

 

 

*

 

Sur un immense terrain poussiéreux, beaucoup de monde piétine, rentre ou ressort des

baraquements décorés par des statues de Vishnu et de Shiva en plâtre, achète des

vêtements, des glaces à l'eau ou des livres religieux, discute et dort à l'ombre d'une

colossale effigie de Radjiv Gandhi. Un peu kermesse et '' fête de l'huma '', la

propagande politique et relieuse font bon ménage. Les stands d'exposition représentant

l'industrie florissante de l'Inde moderne, côtoient respectueusement les temples de plâtre,

le tout dans une ambiance de fête qu'entretient la voix miaulante d'une chanteuse de

variété indienne, un peu crispante.

 

La secte de la ''Conscience de Krishna'' tient aussi son stand. Les dévots y vendent

leurs livres, de l'encens et invitent ceux qui le désirent, à venir le soir-même, manger

le prashad dans leur Ashram.

 

On acceptera l'invitation ; on sait que leur nourriture est sans épice, saine et simple,

plutôt délicieuse et de surcroit, sacrée et gratuite.

 

Le soir, dans la cour, près du temple de Krishna, on assiste à la ''conférence'' qui a lieu

avant le Prashad. Cela fait drôle de voir cet américain faire un cours sur un verset de

la Bagad-Gita, le plus grand livre de l'Hindouisme quand on sait que ceux qui écoutent

religieusement sont les Indiens ! C'est le monde à l'envers.

 

 

*

 

Au moment de nous rendre la monnaie, le visage bouffi du serveur se ramollit, la tête

penche sur un côté, un sourire laid et un regard pitoyable retiennent bassement sa main

avec la pièce qu'il doit nous rendre.

 

*

 

Un concert de musique classique de l'Inde du Sud que l'on n'est pas prêt d'oublier. Une

heure et demi durant, la voix d'un chanteur improvise sur plusieurs gammes et sur des

rythmes de tablas, le ton juste d'un chant religieux accompagné d'un violon, d'un tempura

et d'un harmonium. La salle est presque vide et pourtant sa voix nous prend la tête et

nous la fait tourner, voler sans effort de notre part, sans concentration. Voilà une façon

de chanter qu'on était loin d'imaginer.

 

On pourrait, si on voulait à tout prix trouver une analogie avec une manière de chanter,

comme en Europe, faire un rapprochement avec le style d'improvisation vocale du flamenco.

Voilà une nouvelle facette de l'Inde. On pense à tous les contrastes ahurissants, entre les

différents hommes de ce pays : les maîtres et les médiocres.

 

 

 

Ici, parmi ces 800 millions d'Indiens, le fossé entre eux paraît plus profond qu'ailleurs :

d'un côté le serveur de tout à l'heure, plein de vide, sans dignité et qui mendie comme un

gros gourmand et de l'autre côté, un homme assis en lotus, la tête haute, illuminé par la

maîtrise de sa voix et la perfection de son chant. Bref, on tâchera de ne pas faire de généralité

en Inde.

 

*

 

La lumière, la musique, le monde nous ont attiré à l'intérieur du sanctuaire de Shiva.

Apparemment, il se prépare des festivités. On nous renseigne. Il s'agit effectivement de

célébrer la cérémonie de mariage entre Shiva et Parvati. Dans le temple, face à l'autel, où

l'on finit les décorations, les gens sont assis ou vont et viennent, attendant que la fête

commence. Un Saddou certainement reconnu comme très sage, marque ceux qui se

présentent à lui, d'un point de safran sur le front.

 

Comme toujours, l'odeur et la brume de l'encens, achèvent de rendre à l'endroit son aspect

surnaturel, magique. Un Indien vient nous voir et, comme en jouant le messager, nous

confie à voix basse, que cette croyance n'a rien de bon. Il est chrétien et heureux de l'être.

Evidemment, c'est inévitable, il commence à comparer Jésus à Shiva.

 

On le quitte en se disant que tout ça, c'est métaphysique et que le temple de Shiva n'est

peut-être pas le lieu rêvé pour remettre en cause une religion vieille de 5000 ans.

 

 

 

*

 

 

HAMPI

 

 

Nous commençons après Madras, notre incursion dans les terres profondes de l'Inde.

On ne dépense pas grand chose, ni pour le transport (on a opté pour le stop), ni pour le

logement car la douceur de la température et les étoiles nous invitent chaque nuit à

dormir dehors, comme beaucoup d'Indiens.

 

Assez facilement, nous passons Bangalore, Shitra Durga et à deux cents Kms au nord, nous

arrivons dans ce petit village perdu au milieu d'un désert de rochers ronds comme des

ballons : Hampi, un vieux bourg mentionné par les guides , à cause des vestiges

archéologiques et de la beauté du lieu. Les maisons ne sont parfois que des ruines

archéologiques retapées de planches et de tôles ondulées.

 

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La rue principale se termine dans la cour intérieure du temple de Shiva ; un lieu de rencontre

un peu la place du village. C'est là que l'on rentre ou que l'on sort un char colossal de bois

noir sculpté , véhicule mystique sands âge, que l'on tire avec des cordes les jours de

procession.

 

En contrebas, coule une rivière très animée le matin, quand tout le monde vient laver son

linge et son corps, quand les buffles passent en troupeau sur l'autre berrge et que le soleil

commence à chauffer.

 

La roche ici, ne refroidit pas ; c'est un véritable accumulateur de chaleur pendant la journée,

c e qui donne à la nuit une tiédeur toute minérale.

 

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*

 

 

On a trouvé pour quelques roupies une petite cellule qui nous servira de chambre pour ces

trois nuits. Le mobilier est plus que succinct : deux paillasses et un pot d'eau. La simplicité

même, une rigueur que nous ne remarquons plus, tant elle est présente et naturelle dans tous

les villages de l'Inde.

 

Un Européen est venu nous rendre visite. C'est un Espagnol à la voix grave et savoureuse

qui loge à côté. Avec une noblesse dans l'allure, une certaine classe, il nous invite à fumer le

shilum, exactement dans le style ''vous viendrez bien prendre un p'tit café ?'' On l'écoute

parler de l'Inde, lui qui parle français mieux que nous, lui qui connaît l'Inde pour l'avoir

traverser plusieurs fois.

 

*

 

La rivière coule tranquillement dans la fraîcheur de son lit, sans bruit, en douceur, parmi

les quelques ballons de granite qui semblent flotter à sa surface. Seuls les corbeaux et les

singes viennent perturber le silence du milieu.

 

Et puis, taillés à même la pierre, encastrés dans les creux de la roche ou surplombent les eaux,

les temples d'un autre temps rendent hommage à l'étrangeté de ce monde.

 

Nous, dans l'eau profonde, surveillant d'un oeil nos affaires restées sur la berge, on barbotte

sans souci, jouant avec l'écho de cette résonnance minérale. Mais le destin, encore une fois,

a choisi ce moment précis où l'on oublie que tout peut arriver, pour nous jouer un de ses

tours, une farce en quelque sorte. Sur la berge, des singes sont entrain de fouiller dans

nos affaires. Nous, toujours dans l'eau, on crie pour tenter de les impressionner, mais

rien n'y fait ; il savent qu'ils ont tout leur temps, car ils sont plus rapides que nous.

 

Quand on arrive aux affaires, on vient juste de voir un singe disparaître avec mon pantalon.

On n'ose pas imaginer ce qu'il peut nous manquer. Le sac est grand ouvert. On vérifie le

contenu : il manque un tee-short et ma pochette dans laquelle se trouvent le passeport et

les travellers-chèques ! On n'est pas dans la merde !!

 

Assez vite, on pousse un soupir de soulagement, on retrouve la pochette parterre, intacte,

à l'intérieur d'un temple en ruine et dans un creux de la roche, le tee-short. On revient de loin !

Un incident qui aurait pu bouleverser la suite du voyage. On prend çà comme une leçon, un

avertissement plutôt sérieux, même si après-coup on en souri.

 

 

*

 

HYDERABAD

 

 

Au petit matin, le bus nous dépose encore tout endormis, dans la grande gare routière

d'Hyderabad. Comme de coutume, les rickshaws nous agressent de supplications, de

cartes de visite d'hôtels bon marchés, qu'ils nous mettent sous le nez en criant ; les klaxons

commencent leur concert, les mendiants leurs plaintes et le soleil à chauffer.

 

A la sortie de la gare, dans l'un de ces baraquements où l'on sert le tchaé et des pois-chiches

épicés du matin, on fait le ''point'' au-dessus de la carte dé »pliée, comme pour se voir

depuis très haut. On sent parfois le besoin de se restituer dans l'espace et le temps,

d'essayer de sentir sa présence en cet endroit précis de la planète. Hyderabad, un point

minuscule au milieu de cette grande carte de l'Inde, une ville au nom enchanteur, que le destin

nous a réservé pour aujourd'hui.

 

 

*

 

 

Une mosquée à quatre minarets, brune et imposante, se dresse au centre d'un bazar grouillant

et coloré, c'est le Charminas. Le quartier et même la ville entière sont de souche musulmane.

Ici, l'Inde ressemble à Bagdad ou Babylone.

 

A part quelques bus et des taxis-scooters, çà n'a pas dû changer beaucoup depuis l'époque des

tapis volants On va fouiner dans une sombre ruelle où les boutiques fleurent bon les épices et

la lampe à huile. On va se perdre dans le dédale des souks, à la recherche d'une paire de

sandales qui puisse convenir à la taille des pieds der Pascal ! Chose difficile , on en rate le

train pour Chandrapur. On partira demain en stop, on n'est pas pressé .

 

 

*

 

 

HINGENGAT

 

Le stop marche bien en Inde ; parfois, le conducteur du camion demande son bakshish mais

l'important est qu'on a trouvé le moyen de faire de longues distances facilement et rapidement,

puisqu'on bénéficie de la rareté des touristes dans ces régions. On nous prend donc sans trop

de difficulté, par courtoisie, peut-être par curiosité aussi, quitte à se retrouver à sept ou huit

dans la petite cabine d'un camion, pour tracer les quatre cents kilomètres qui nous séparaient

de Wardha.

 

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A l'entrée d'une petite église, un peu en retrait de la route, on se croyait discrets hier soir

pour y passer la nuit. Mais ce matin, c'est une cohue d'enfants qui se bousculent pour assister,

de leurs grands yeux sombres, au réveil insolite des deux routards perdus dans le centre

de l'Inde.

 

 

*

 

On remarque de plus en plus que les Indiens ont souvent l'art et la manière de créer sur le

vif et surtout très naturellement des situations franchement absurdes et surréalistes

 

Par exemple, à Wardha, on cherche la poste, on se renseigne ; comme d'habitude, on

rapplique de tous côtés pournous informer et c'est là que le squetch commence : chacun,

très sérieusement nous indique une direction différente, tout en étant partfaitement

d'accord entre eux. Mais le pire, c'est qu'on finira par en prendre l'habitude, car ce genre

d'anecdote est chose courante.

 

*

 

WARDHA

 

 

Cette fois, nous y sommes dans le centre : en plein milieu. Wardha est une petite ville

écrasée par la chaleur continentale et la poussière en suspension. Rien de spécial à voir

ici, mais on sait qu'à quelques kms, se trouve l'Ashram où a vécu l'un des hommes le plus

marquant de l'histoire de l'humanité : GANDHI

 

*

 

 

 

On passera d'abord visiter un autre ashram : celui de Vinoba, le plus grand disciple du Mahatma

et le plus humble aussi. Il n'y a pas grand monde, on n'a pas grand chose à y faire, sinon d'être

impressionné par la blancheur des vaches sacrées, de boire leur lait et d'en remplir notre gourde

jusqu'à raz bord.

 

*

 

Il nous faut revenir à Wardha, pour reprendre un bus qui nous mènera à Sevagram, l'ashram de

Gandhi. Les gares indiennes sont un spectacle permanent ; en attendant notre bus, on assistera

aux scènes coutumières qui se jouent à tous les guichets de toutes les gares de l'Inde. Le dernier

acte se termine par la montée dans un bus plein à craquer. Un surplus de têtes et de bras ressort

par la porte arrière, mais tout le monde n'est pas encore monté. La cohue presse, coûte que coûte,

la masse de chaire qui déborde. Le bus démarre en klaxonnant dans un nuage de poussière,

laissant-là ceux qui n'ont pas pu s'accrocher à temps. Dernière vision de cette scène absurde :

la tête d'une petite fille qui dépasse de cette grappe humaine et qui pleure, qui crie à en perdre haleine.

 

*

 

 

SEVAGRAM

 

 

Il existe des endroits où la présence d'un homme se fait sentir continuellement, même des dizaines

d'années après sa mort. C'est le cas de cet ashram où Gandhi a vécu dix ans. A notre arrivée, on

nous accompagne chez des visiteurs étrangers qui logent dans l'ashram depuis quelques jours. Un

couple espagnol et un belge de passage, comme nous, cela fait plaisir d'échanger des impressions

de voyage en français.

 

Après quoi, on nous met tout de suite en condition, pour apprécier les saines traditions de la vie quotidienne instituée par Gandhi. La ''veillée'' rassemble les disciples, un petit groupe (qui vieilli

bien – ils ont connu Gandhi) qui vient passer un moment dans la douceur du soir, pour parler un

peu après la séance de chant et de prière.

 

On nous demande si on a mangé ; on répond que non ; alors, on nous donne un plateau avec

quelques aliments qu'on va déguster de bon appétit chez les espagnols. On terminera la soirée

avec eux. Notre chambre est propre, nette, simple. Tout ce qui est là est ici pour l'évidence de son utilité et de son fonctionnement. Le loquet de la porte ferme sans forcer, le robinet ne fuie pas, la

table n'est pas bancale, l'installation électrique est digne de ce nom, enfin, rien ne cloche, tout est

correct ; ça surprend même. Ici, les choses sont belles de simplicité.

 

 

*

 

 

Assis parterre, dans ''la salle à manger'''' où l'on nous sert un petit déjeuner indien, on contemple la

douce rigueur de ce lieu. A côté, la cuisine ; on y jette un oeil. C'est une vraie cuisine de campagne avec sa cheminée en terre et ses casseroles de cuivre qui brillent dans un rayon de soleil.

 

 

 

*

 

 

Une disciple passera une heure avec nous ce matin, pour nous faire visiter l'ashram, nous expliquer la philosophie de

''Bapou-dji'' – c'est ainsi qu'on appelait la Mahatma, cela signifie quelque chose entre ''Papa'' et ''Monseigneur'' – les grandes règles de vie, les préceptes sont d'ailleurs écrits en indi et en anglais sur des tableaux à l'intention des visiteurs et des pèlerins. Sa chambre, son lieu de travail sont libres d'accès. On y voit son bâton, ses sandales de bois,on s'imprègne de simplicité, on y voit sa grandeur, une grandeur de Saint.

 

 

*

 

 

 

A onze heures, on revient pour le repas. On en a l'eau à la bouche car on sait que ça ne peut-être

que très bon, très doux, très simple c'est évident. Un repas sain qui soit à la portée du paysan

indien comme le voulait Gandhi. Après avoir lavé nos plateaux, on marquera notre venue sur le

grand cahier qu'on nous présente, non sans se demander si on est assez digne de le faire surtout

quand on nous montre quelques pages avant la nôtre, la signature des plus fervents de Non-Violence, des plus grands disciples de Gandhi.

 

 

*

 

 

A l'ombre, quand les hommes et les bêtes dorment à l'abri du soleil, cinq disciples filent le coton

au rouet, l'instrument ô combien symbolique des préceptes du Mahatma. Séance relaxante, qui

entretient l'habileté manuelle et le repos de l'esprit. Naturellement, le coton ainsi filé servira à

fabriquer les robes, les dhotis, les couvertures ou les chemises des disciples. On conservera de

ces gens un souvenir qui transparait directement sur l'image de Gandhi que l'on a senti avec eux

et en eux.

 

 

*

 

 

On continue en stop notre petit bonhomme de chemin, vers le nord-est , vers Calcutta, un nom qui

fait bizarre à prononcer, une ville au bout du monde, à quelques journées de route. En ce 8 Avril

1986, on quitte définitivement l'Inde du Sud (ou la moitié sud de l'Inde) ; Ensuite, j'ai 27 ans

aujourd'hui et puis ça fait juste deux mois qu'on a débarqué à Delhi. On fêtera tout ça à Calcutta.

 

 

*

 

On a trouvé une manière de voyager pour le moins originale et qui est loin de nous déplaire : on est

installé comme des pachas sur le toit de la cabine d'un camion. Des centaines de Kms, des paysages qui vont de la forêt vosgienne à la piste africaine au coucher du soleil en passant par une plaine de la Beauce avec des bananiers en plus, avant Calcutta. Une place de rêve pour une vie de rêve. Dire

qu'on va à Calcutta ….. On a du mal à réaliser.

 

 

*

 

 

CALCUTTA

 

Pour notre première soirée à Calcutta, on se paie une petite gâterie, histoire de trinquer à mes 27 ans

et à la route. On se fait servir dans un des restaurants de l'hôtel Grand Oberoi, cadre grand luxe,

climatisé, aseptisé, non loin de notre hôtel minable.

 

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Après dîner, notre soirée continue au dernier étage de l'hôtel, par une représentation de danses traditionnelles. On s'est assis sur l'une des deux banquettes réservées au public et on attend que ça commence. En fait de public, il n'y a personne d'autre que nous. On regarde les quatre musiciens qui accordent leurs instruments ; une télévision diffuse une série américaine pour faire patienter ; finalement, un type arrive et éteint la télé ; on s'attend à ce qu'il nous dise que le spectacle est reporté à demain, faute de monde. Mais les projecteurs s'allument on a donc droit à une représentation en privé.

A trois mètres de nous, dans son costume trop serré, droit comme un I, l'annonceur présente la première danse, sur le ton d'un conférencier qui parlerait à une salle pleine. On ne comprend rien de ce qu'il nous raconte, mais on éprouve un réel plaisir à le regarder faire, ce petit bonhomme trop sérieux. Il fait son boulot de présentateur, que la salle soit comble ou vide, avec les mêmes mots, le même ton, la même importance dans son allure. Le spectacle par lui-même reste moins impressionnant que celui de Bombay. On termine la soirée par un bain dans la piscine éclairée de l'hôtel – faut pas de gêner.

 

 

*

 

 

On ne restera à Calcutta que deux jours. Il nous faut déjà partir car la Kumba Mela approche à grand pas et Hardwar est encore si loin : nous avons 1 400 Kms à faire en deux jours. On laisse donc pour le moment cette ancienne capitale de l'Inde en se promettant d'y revenir un jour ou l'autre. Le peu que l'on a vu nous assure qu'il doit se cacher des tableaux invraisemblables. Les contrastes sont plus prononcés qu'à Delhi, Bombay ou Madras. La misère la plus inacceptable côtoie l'opulence la plus choquante, sans que nul apparemment n'en soit gêné.

De plus, les cultures indiennes et britanniques s'y trouvent brassées dans un bouillon extrême-oriental puisque la Thailande n'est pas si loin. La surpopulation de Calcutta est aussi l'un des facteurs de ce bouillonnement à tous les niveaux. De toute façon, une ville trop dense, trop profonde pour en avoir un aperçu, même vague, en deux jours.

 

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*

 

 

Ce soir, on reprend les sacs. Ce que l'on veut, c'est sortir de Calcutta pour que, demain matin, on puisse commencer le stop. Et qui sait ? Peut-être, aura-t-on la chance de partir dès ce soir pour Varanasi. On peut rêver, mais ça n'a pas l'air évident : Calcutta s'étend sur 50 Kms …..

 

Un bus nous dépose à Howrah-Station et de là, on commence à marcher en levant le pouce. Il y a bien quelques camions qui passent, mais aucun ne s'arrête. Les gens que l'on croise nous affirment qu'il est préférable de retourner à la gare et de prendre le train demain matin.

 

On connaît ce genre de conseil pour l'avoir entendu maintes fois sur la route et on sait aussi que derrière nous, on a à notre actif plusieurs milliers de Kms en stop à travers l'Inde. C'est donc systématiquement un conseil qui nous fait sourire. Mais là, ce soir, on se demande pourquoi, mais on les croit. Il fait une chaleur humide et poisseuse, la nuit est épaisse et dsur le pont de l'Hoogly, la lumière des réverbères est auréolée par la vapeur en suspension.

 

On marche à bonne allure dans les rues sombres et puantes de Howrah, le quartier le plus glauque de Calcutta. Tout, autour de nous, semble se putréfier dans la moiteur de l'air. On perd l'espoir de partir cette nuit et pourtant, on ne peut pas se résigner à dormir dehors, on ne veut même pas y penser.

 

 

 

 

Des grouillements suspects, des trous sombres béants au milieu de la rue, une colique d'excréments, des flaques d'eau croupie, la puanteur grasse nous imprègne. On finit par ne plus sentir que çà, par ne plus voir que çà. On trouve un hôtel pour fermer les yeux.

 

 

*

 

 

Le lendemain, on refait le chemin en sens inverse jusqu'à Howrah-Station, pour prendre le train.

Il faut se rendre à l'évidence : il vaut mieux, on perdra moins de temps, sortir de Calcutta en achetant son billet comme tout le monde. On réessaiera le stop à Bardaman, une petite ville à 150 Kms d'ici.

 

Un des dernières visions de Calcutta, une scène à l'échelle de cette grosse métropole, c'est le pont de Howrah juste devant la gare ; un pont métallique, une des fiertés, un des symboles de Calcutta, sur lequel fourmillent des milliers de personnes qui vont à pied, en rickshaws, en pousse-pousse , en char à boeuf, dans une immense pagaille. On ne saura pas pourquoi, mais il est rigoureusement interdit de prendre des photos.

 

 

*

 

 

A Bardaman, notre tentative de stop n'est pas concluante. Il fait tellement chaud qu'on sue immédiatement l'eau qu'on boit, on en est trempé. Lassé, on revient à la gare et on achète le billet direct pour Varanasi (Bénarès).

 

 

*

 

 

Un train est déjà sur le quai. Sur le marche-pied, des indiens nous informent que c'est le train pour Varanasi. Il y a deux places libres près de la fenêtre, on s'installe. Mais une fois parti, on se demande si le train va réellement dans la bonne direction ; un petit doute qui n'a en fait, aucune raison d'être, puisqu'on nous a renseignés avant de monter ….. Pour en avoir le coeur net, je demande au type d'en face – et lui de me répondre : '' that train go to Calcutta ! ''.

 

Voilà une situation classique qui nous étonne à peine. Un faux renseignement balancé tout à l'heure ; dans quel but ? Pour quelle raison ? Dans ces moments-là, on cherche à comprendre ce qu'ils ont dans la tête, ces indiens.

 

Si on généralise, on aurait tendance à les voir comme des grands enfants – parfois un peu farceurs.

On descendra au prochain arrêt.

 

 

*

 

 

VARANASI (BENARES)

 

 

Une petite halte de 24 H. dans la capitale de la religion hindoue, avant de plonger corps et âmes dans le grand tourbillon de la Kumba-Mela. 24 H., évidemment, c'est peu pour s'imprégner de l'atmosphère particulière qui règne ici. Onse console en se disant qu'à la veille du grand jour de la Kumba-Mela, tous les pèlerins sont plutôt à Hardwar qu'à Bénarès; par conséquent, plus calme qu'en temps ordinaire.

 Bénarès est pourtant une ville vieille de 3 000 ans dit-on. Ici, tous les temples sont confondus en cette ''entité'' que les foules viennent voir, sentir et comprendre : le Gange. On y vient pour se laver de ses péchés, pour mourir, pour brûler, pour renaître.

*

 

Bénarès est aussi la cité des vaches. On en voit partout : dans la gare, sur les ghats sacrés, dormant en travers des ruelles et formant de véritables troupeaux. Ce sont des reines et elles le savent. De temps en temps, elles délaissent leur nonchalance et se permettent un caprice : celui de chaparder une tomate en passant ou carrément d'aller brouter dans le panier de grains que vend,erre, une pauvre femme.

 

Du reste, la vache reçoit sans broncher les petits poings de la femme sur la tête, sans pour autant daigner se retirer tout de suite. Elles n'ont rien à craindre, malgré tout, elles sont considérées et elles en profitent avant que ça ne change.

 

 

 

*

 

Pour assister à la cérémonie du soir (l'Artie) et puisque nous sommes à Bénarès, pour essayer de comprendre le Gange, on loue une barque pour une heure.

 

Les eaux sont épaisses et sombres. On pense aux germes de choléra retrouvés en analysant l'eau du Gange. On pense aussi à cette théorie qui affirme que les germes sont tués par une radioactivité anormale de l'eau, ou bien à celle qui prétend qu'il y en a tellement qu'ils se bouffent entre eux !

 

Et puis le Gange, c'est aussi tout le contraire : un fleuve infiniment pur et sain, parce que purificateur. Les clochettes de l'Artie résonnent sur les eaux ; les flammes en offrande au fleuve s'y reflètent, les chants sacrés et les mantras viennent jusqu'à nous et notre barque glisse doucement dans la chaleur du moment. Quelques nageurs traversent le fleuve, heureux et indifférents à la pollution qui flotte en nappe à la surface. Ils nagent dans un autre plan.

 

Toute la ville se situe sur un seul côté du fleuve. L'autre berge reste déserte et sauvage, l'horizon y est strict pour que les premiers rayons du soleil viennent directement frapper les vieilles pierres de la ville Sainte et illuminer les yeux de ces fous de Dieu.

 

 

*

 

 

Bénarès pour y mourir et y faire brûler son corps. Jour et nuit, les feux de crémation sont constamment allumés.

Quand on approche des bûchers, on ne veut rien faire d'autre que d'aller s'asseoir et regarder sans rien dire, dans le respect de la mort, ces quatre corps qui brûlent devant nous. La nuit amplifie le silence et la sérénité de ces gaths crématoires.

 

Le regard fixé, impressionné, on médite sur un sujet inévitable dans ces moments-là : le rapport entre le cadavre que l'on vient de déposer sur le bûcher et notre propre corps. Le feu craque, la fumée dégage une odeur de chair rôtie. De temps en temps, on attise le foyer avec une canne de bambou, on replace un membre fumant. Les cendres sont ensuite jetées dans l'eau sacrée du Gange, après que l'âme du défunt ait rejoint le ciel par la crémation.

 

Seuls, les Brahmanes, les lépreux, les enfants et les vaches, considérés comme purs, peuvent êrtre dispensés de la purification par le feu. On les immerge directement dans le Gange. Si la famille trop pauvre ne peut acheter suffisamment de bois pour une incinération complète, le cadavre à demi consumé est jeté dans le Gange. Les corbeaux et les vautours se chargent de finir le travail.

 

 

 

*

 

 

Dans la pièce où l'on nous fait signe d'entrer, un musicien improvise sur un cithare indien, dont la sonorité est loin d'être ordinaire. Une heure de récital digne d'être enregistré et réécouté au walkman.

 

Le maître est musicien mais aussi luthier et vendeur. La qualité de ses cithares ne nous laisse pas indifférents ; leurs prix sont honnêtes (un bon cithare, bien travaillé, coûte en Inde environ 300 €). Ramener si bel instrument en France est un de nos projets ; on espère bien revenir à Bénarès dans quelques mois, pour comprendre davantage cette musique sacrée.

 

 

 

*

 

 

En attendant notre train, sur le quai, un saddou nous fait signe de s'asseoir à ses côtés. Il va lui aussi à Hardwar, on fera donc le voyage ensemble. Tout en lui, nous rappelle Nagaram Baba, le saniasy de Pondichéry.

La même simplicité dans la rencontre, le même physique. Le visage des saddous, leur regard et leur sourire sont étrangement ressemblants, comme sortis d'un même moule ; Shygiri, on a l'impression de le connaître déjà.

 

Dans le compartiment, on est choyé. On nous offre considération et nourriture, à cause du simple fait que nous allons à la Kumba-Mela, en compagnie d'un Saddou.

 

 

 

*

 

 

HARDWAR

 

 

Avec Hardwar, nous formons dans la grande boucle de notre circuit indien. Deux mois de route, plusieurs milliers de kilomètres et nous débarquons comme par hasard en ce dernier jour de la plus grande fête religieuse de l'Inde. La rue principale de Hardwar est méconnaissable. Des milliers de pèlerins, des millions plutôt , l'ont transformé de leur présence, en un fleuve humain qui se déverse, bien entendu, sur les ghats sacrés du Gange.

 

 

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On fait, comme tous les pèlerins, on se dirige vers le Gange. Sur les deux berges, les ghats sont noirs de monde sur des kilomètres. L'eau est glacée mais bien plus rassurante qu'à Bénarès, quant à sa propreté malgré les millions de pèlerins qui s'y baignent en même temps.

 

Aujourd'hui, tous ceux qui ont la chance de pouvoir se baigner dans le Gange à Hardwar, sont purifiés totalement. On peut donc, nous aussi, se considérer comme Saints, complètement lavés de toutes nos souillures matérielles. D'être devenus des Saints, ça nous fait bien plaisir ! Le plus dur est d'y croire, car on ne voit pas trop la différence si ce n'est un bien-être physique naturellement dû à la friction de l'eau glacée.

 

Mais la foule est là pour nous rappeler que le Gange est véritablement une source spirituelle qui vient de là où vivent les dieux. On se doit de ne pas en douter une seconde si on veut comprendre le Gange, la Kumba-Mela et l'Inde , en général, d'une façon un peu moins touristique.

 

On se sent tellement frais et bien dans sa peau, après ce bain matinal qu'on refera, comme tous les Indous de la Kumba-Mela, chaque matin, l'opération ''baignade glacée'' avant d'aller manger. Une saine habitude à prendre sur les rives du Gange et puis dans le même temps, on y lave à la fois ses vêtements, son corps et son esprit ; ce qui donne à cette toilette matinale, un sens rituel et spirituel, le sens profond de respect de soi-même et aussi un sens de baptême pour la journée.

Un acte aussi habituel que celui de se laver prend tout à coup, avec le Gange et la Kumba-Mela, une gravité, une importance dans sa signification propre.

 

 

 

*

 

 

Sur un pont, il y a un monde fou qui crie, qui chante. La foule forme un passage poir faire honneur à un défilé de Saddous Nagas, des ascètes qui n'ont pour seul vêtement qu'un barbouillage de cendre sur tout le corps.

 

Leur nudité ne blesse pas les regards. Nulle indécence, nul irrespect ; au contraire, on s'incline devant ces Saints du renoncement total, on rend grâce aux humbles du détachement. Ils ont des cheveux laineux de plusieurs mètres enroulés autour de la tête, à la façon d'un turban ;

ils brandissent un trident, l'emblème de Shiva et coulent dans la foule en se tortillant comme les serpents qu'ils incarnent.

 

 

*

 

 

On a laissé les sacs sous une tente militaire qui sert de consigne à bagages. On peut maintenant se fondre dans les entrailles de la foule. On piétine jusqu'aux ghats sacrés d'Arki Puri, le lieu effervescent de la Kumba Mela, là, où on réalise davantage l'extraordinaire ampleur de cette fête géante puisque, depuis le pont, on domine de quelques mètres la foule massée sur les rives du Gange. Hommes et femmes, vieillards et nouveaux nés, mendiants, sages, chacun prie dans

l'eau, s'éclabousse, lave son linge ou se laisse emporter un moment par le courant qui descend fort comme un torrent. On arrive de toute part pour le contempler, le boire, lui offrir des flleurs et des prières.

 

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Comme dans un camp militaire, les saddous sont regroupés dans un carré de tentes de l'armée, réunis selon leur appartenance, autour de leur gourou. Ils occupent leur temps à entretenir le feu sacré pour la méditation, pour l'offrande et la cuisine, fument le shilum en invoquant Shiva,

discutant ou dorment tout simplement. Quand on passe devant leur tente, on nous fait signe de

venir nous asseoir un moment et parfois de passer notre chemin parce que nous sommes étrangers.

 

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Des mendiants, comme noyés dans les profondeurs de ce flot humain, rampent dans la poussière, se trainent dans leur misérable sort. Des saddous beaux comme des Dieux, rayonnent par leur regard qu'on ne pourra oublier. Il y a ceux qui ne ''perdent pas leur temps'', ceux qui profitent du monde pour travailler ; des familles qui arrivent de loin avec leur baluchon et leur bébé sur le dos ; des brahmanes vendent la nourriture qu'ils ont cuisinée sur leur charrette, un menu classique servi chaud et qu'on mange debout avec trois doigts comme d'habitude. Si on veut manger assis, il faut attendre que l'heure soit assez avancée, pour espérer trouver des places dans les ''restaurants'' de la ville.

 

Les menus ne varient pas beaucoup depuis que nous sommes en Inde : dhal, riz au curry, pois en sauce, dans tous les cas, très épicés, mais on s'habitue à tout.

 

 

 

*

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En fin d'après-midi, on revient vers le bassin d'Arki-Puri. Cette fois, la foule est encore plus concentrée que tout à l'heure. Les clochettes et les conques retentissent. Les chants sacrés et les murmures des mantras, sont maintenant une lourde vibration qui commence à monter comme une fièvre, au fur et à mesure que les étoiles se mettent à briller.

 

Cette nuit, Jupiter entrera dans la constellation du Verseau et on s'attend à tout, car ce sont les heures les plus saintes dans une durée de 24 ans.

 

On apprendra plus tard que 50 pèlerins seront morts, piétinés par la foule ce même soir. Il est bien sûr hors de question de chercher une place libre dans un ashram : ils sont tous bondés ; les hôtels ont quadruplé leur tarif. Nous, on a pris l'habitude depuis un bon moment déjà, de dormir dehors à chaque fois que c'est possible.

 

On s'installe, pas trop loin du Gange, dans un petit parc déjà fréquenté par des dormeurs. Mais si pendant le jour les haut-parleurs de Hardwar diffusent sans interruption des mantras et des chants religieux, la nuit, ils sont d'autant plus présents, résonnant et impressionnants, car le silence les amplifie. Le mantra en question est plutôt répétitif, c'est sa raison d'être et hypnotique, c'est son but. Trois notes qui vont nous bercer et nous agacer toute la nuit. Trois petites notes qui accrochent le mental avant et pendant le sommeil, une sorte de somnifère spirituel pour les uns, un bourrage de crâne pour les autres.

 

*

 

RISHIKESH

 

 

On a retrouvé le charme de cette petite ville. En fait, tout le charme vient du Gange. Ici, la rivière sacrée laisse sur ses rives le parfum de l'Himalaya, la fraicheur de sa jeunesse. On comprend pourquoi on part d'ici pour remonter le cours de son lit ; pourquoi on se salue avec la syllabe ''Aum'', c'est la cité des hommes qui ont quitté le monde.

  

*

 

Le Neelam Hôtel est un petit restaurant tenu par des Siks et fréquenté par les occidentaux de passage à Rishikesh. On y mange bien et puis c'est toujours l'occasion de retrouver des gens rencontrés ailleurs, ou d'en connaître d'autres.

 

Certains soignent leur look indien jusqu'aux limites du déguisement. Plus Indiens que les Indiens eux-mêmes ; la catégorie supérieure, on n'hésite pas : la tenue saddou ! Coiffure, barbe, robe rouge, tout y est : jusqu'à la position en lotus sur la banquette du restaurant.

 

D'un air sérieusement inspiré et visiblement content de lui-même, un ''saddou'' européen regarde les mouches voler. J'ai envie de l'entendre parler. Je lui demande si ça fait longtemps qu'il voyage en Inde, suivi du traditionnel ''whère do you comme from'' ? Le gars me regarde en réfléchissant. Ce doit être une question difficile , vu le temps de réflexion.

 

Enfin, il ouvre la bouche et laisse sortir un mot : ''pourquoi'' ? Là, je comprends qu'on n'est pas vraiment sur la même longueur d'onde. En fait, le type réfléchit sur le pourquoi de mon interrogation ! Bref, une ''réponse'' qui remet en cause toute la simplicité d'une question. Notre ''saddou'' a encore du chemin à faire pour ressembler aux Saniasys de l'Himalaya.

 

 

 

*

 

 

Journée musicale au Swiss-Cottage. Sur la terrasse où nous avons passé la nuit, Pascal

s'éclate entre deux flûtes traversières, une guitare, un saxo ténor et … l'inspiration du

Gange. La musique finissait par manquer !

 

 

*

 

 

On a décidé de monter demain à Neel Kant, un village dans la montagne, à cinq heures de

marche depuis Rishikesh. On rencontre le ''baba philosophe'' d'il y a deux mois, qui nous

conseille d'aller nous installer près du Gange pour la nuit, de façon à être prêt à partir

demain matin, à la première heure avant que le soleil ne darde trop fort ses rayons. La journée

sera dure.

 

On traverse, par un pont militaire, les flots impétueux et on trouve pour la nuit une plage de

sable brillant. On s'endort sous les étoiles, bercés par ma mélodie d'un mantra lointain,

bercés aussi par la présence de Maiki Ganga (Mère Gange) qui, on le sait bien, commence

à nous apprivoiser.

 

 

*

 

 

A l'aube fraîche du matin, avec la noblesse d'un chevalier errant, un saddou plante à ses pieds

son trident, y accroche son pot à eau et laisse tomber sa couverture sur la grève.

 

Comme je roule mon duvet, je lève la tête. Ses cheveux et sa barbe flottent au vent et toujours ce visage de Christ. On se salue, on échange quelques mots, puis avant les ablutions du matin,

il va se laver les dents avec un peu de Colgate.

 

 

 

*

 

 

NEEL KANT

 

Pas mal de sueur liquidée sur ce chemin qui n'en finit pas de monter. Neel Kant est un lieu de

pèlerinage ; avec la fin de la Kumba Mela , la longue route vers les sources du Gange a déjà

commencé pour beaucoup de pèlerins. Certains font le détour par Neel Kant, une première

halte sur les tous premiers contre-forts himalayens.

 

''Sita Rama Sita Rama Sita Rama jai Sita Rama'' ''Hare Krishna'' jai Shankar'' chacun y va de son mantra, en marchant d'un pas lent, parfois pieds nus, parfois très vieux, en saluant du ''Aum Shiva'' celui ou celle qui en revient. Souvent des cris d'encouragement résonnent dans la montagne. On remarque que personne, à part nous, n'est chargé ; nos sacs sont d'autant plus lourds. De l'ombre,

il n'y en a pas beaucoup, mais le Gange que l'on aperçoit en contre-bas, est là pour rafraîchir le

pèlerin par la pensée.

 

 

*

 

 

Quelques maisons disposées autour d'un temple de Shiva, encastrées entre trois monts étonnement

rapprochés. Neel Kant est un sanctuaire sacré. On y vit, on y vient dans l'unique but de servir Shiva, de le combler d'offrandes, de prières, de méditations. Sur la place, un yogui passe son temps

debout sur la tête, un autre, en plein soleil, garde la pause du lotus.

 

L'Autel de Shiva rassemble vers 4 heures le matin et 7 heures le soir, tous les pèlerins présents à

Neel Kant. Ici, le culte consiste à actionner pendant un quart d'heure une cinquantaine de cloches.

Chacun, de la main droite, agite sa cloche respective en regardant l'autel où trône une statue de

Shiva ; le tintement de toutes ces cloches est assourdissant ; pour nous, insupportable car on ne peut

rester à proximité tellement est forte la puissance de cette vibration. Le regard des dévots, pendant

la cérémonie, n'exprime rien d'autre que l'extase du moment.

 

 

 

*

 

 

Ils sont, ce soir, l'attaction des pèlerins de Neel Kant : plumes de paon sur la tête, longue robe,

clochettes et rythmes enjoués, ils sont cinq ou six à reprendre en coeur sur les mêmes notes un

mantra, à la manière d'un refrain. L'un d'eux est debout et chante en marquant la cadence avec

des grands gestes, recueillant dans sa clochette les billets que les gens lui donnent. Le mantra est

bien sûr, répétitif, tournoyant, ça nous prend la tête , on s'en va avant la fin.

 

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Dans le vide de notre cellule, le son de notre flûte de bambou (souvenir de Bénarès) rend un

écho étrange, une résonnance qui l'embellit et l'amplifie. On en profite pour apprendre à en

jouer un peu mieux. Cela se terminera par une séance de ''chants grégoriens'', de ''vibrations Aum'',

de mantra. A Neel Kant, l'air est mystique.

 

 

*

 

La nourriture ici a du mal à convenir à nos petits palets encore trop raffinés : les plats sont épicés à outrance. Mais ce soir, on a réussi un tour de force : on nous a cuisiné, spécialement pour nous, un menu très bizarre, pour eux : des pommes de terre sautées, sans épice, mais avec des herbes du pays; un régal pour nous, un plat trop fade pour eux. Question d'habitude …..

 

 

*

 

 

A 3 Km, se trouve le village de Moon. On s'y rend en suivant un chemin qui longe le flanc de la

montagne. A gauche, le vide donne sur un panorama de champs de blé en espalliers. A l'ombre

d'un figuier, on joue de la flûte ; ça a pour effet d'attirer quelques enfants. Ils s'assoient en retrait,

nous considèrent, puis petit à petit, se rapprochent de nous. On finit par discuter par gestes

évidemment ; on apprend ainsi que le bus passe tous les jours à Moon pour Rishikesh et Hardwar.

C'est bon à savoir !

 

 

HARDWAR

 

Une semaine après la Kumba Mela , il y a nettement moins de monde. Les campements des saddous sont toujours installés. Certaines tentes sont vides, il ne reste que les nattes de sol. On s'en approprie une pour la nuit. Au matin, on est réveillé par un concert de toux grasses, de bruits de crachats pas vraiment distingués.

C'est le nettoyage pulmonaire des saddous. C'est vrai que les Shilums de Sharras sont continuellement allumés.

 

*

 

Ce matin, on a rencontré deux routards français. Plutôt ''zonnards''. Des anciens de la ''Route des

Zindes'' qui ne peuvent plus franchement revenir dans le bercail de notre belle civilisation. Les

deux gars parcourent l'Asie depuis des années, de Kathmandou à Bangkok, Hong Kong, Singapour ;

petit trafic et système D, ils arrivent à se payer leur billet d'avion et leur visa, pour continuer plus loin. La route c'est leur vie. On les comprend. Mais pour le moment, à part leurs souvenirs, ils ont l'air bien démunis. Ils font peine à voir : l'un est édenté, l'autre arpente ses voyages avec une loque

noire qui lui sert de robe. Tous deux sont décorés de bracelets afgans, de colliers pakistanais ou

de breloques népalaises, souvenirs de leur route.

 

On peut les écouter parler, ils connaissent l'Inde mieux que nous ! On sort la carte, on parle de Manali où on a projeté d'aller. Ils nous donnent des tuyaux, dessinent un plan détaillé de cette

région, nous conseillent et nous renseignent. On connaît même l'horaire du bus. Ils nous parlent d'un baba impressionnant qu'ils ont rencontré pendant la Kumba Mela. On peut encore le voir,

il suffit de traverser le Gange et de lui porter du lait ou des fruits.

 

L'un des deux français est bien accroché d'ailleurs. Il nous dit que l'envie le tente d'en devenir son

disciple ; il pense avoir trouvé son gourou ''autant que ce soit lui''. Si bien qu'on les suit pour le

voir. On s'attendait à voir un patriarche à longue barbe blanche auguste, serein ; une image du

sage très classique. En fait, l'homme est un saddou avec, en apparence rien qui le distingue des

autres : la même simplicité, la sympathie naturelle et la beauté du regard des Ascètes.

 

Seulement, il est l'un de ceux qui accomplissent les grands sacrifices de yoga comme les Ermites

de l'Himalaya aux pouvoirs surnaturels. Il est de ceux en qui personne ne doute (du moins en

Inde) simplement en raison de son sacrifice, d'une pénitence religieuse qui le classe aux yeux

de tous comme un demi Dieu, un Gourou.

 

L'épreuve, ou plutôt les épreuves de ce Gourou sont plus ''modestes'' et moins spectaculaires

que celles qui lèvent le bras pendant 10 ans, bras qui sèche comme un bâton, beau comme un trophée qu'ils brandissent. Moins visible, sa pénitence à lui est plus secrète, plus profonde.

 

Cet homme devant nous, qui nous fait signe denous asseoir, vient d'accomplir son incroyable

épreuve commencée il y a ….. 12 ans lors de la dernière Kumba Mela d'Hardwar : il vient

d'arrêter , ces jours-ci, le Saint Sacrifice du silence.

 

Les premiers mots qu'il a prononcés, nous disent les français, ressemblaient à un rrêle de mourant avec de recouvrer sa voix. 12 ans d'abstinence totale de sz voix, 12 ans ''d'introversion'' à l'écoute

du silence intérieur. Qu'a-t-il apprit au fond de lui-même après toutes ces années de maîtrise ?

Sa connaissance, lui-seul la connaît, comme chacun connaît la sienne à son propre niveau ; son savoir est axé vers les profondeurs de son être comme celui de l'Astronome l'est vers les profondeurs de l'univers, chacun regardant, analysant, méditant, comprenant le dessein de sa

pensée, grâce aux sacrifices et à la prière pour l'un et aux expériences, aux calculs pour l'autre.

 

Mais notre savant accomplit, de façon définitive apparemment, un second sacrifice qu'il a commencé aussi depuis 12 a,s. Celui-ci est à peine plus croyable que le précédent ; la pénitence

consiste à ne pas s'asseoir, ni s'allonger de jour comme de suit. Cela fait 12 ans qu'il est debout ;

il ne pourra plus jamais se rasseoir, car un cartilage s'est formé au niveau des genoux et puis, en

12 ans, il a pris l'habitude de dormir debout, en s'accoudant à une ''balançoire'', une planche

accrochée par deux cordes à la branche d'un arbre et recouverte d'une fourrure de panthère, le

''tapis'' sacré pour la méditation des yoguis de l'Himalaya comme celui de Shiva lui-même.

 

 

*

 

 

Nous serons demain matin à Manali, dans l'Himalaya Pradresh , une région Himalayenne -

450 Kms de bus, en Inde, ça peut devenir interminable. Pas moyen de reposer la tête qui

ballotter lourdement sur la nuque, impossible de trouver le sommeil. On profite d'une halte

pour se retrouver en quelques secondes, avec nos sacs là-haut sur la galerie. On se dépêche

de dérouler les duvets avant que le car ne reparte. Après une petite discussion avec le gars

des tikets qui finit par accepter, le bus redémarre. En dessous, les gens ont dû regagner leur

petite place, recroquevillés. Nous, on s'étire au clair de lune.

 

 

*

A Kulu, petite ville montagnarde à 40 Kms de Manali, on doit changer de bus. En attendant

de repartir et pour se réveiller complètement, on va juste en face, boire un petit café. Cinq minutes

plus tard, on ressort en trombe, le car vient de partir, nos sacs sont à l'intérieur !

 

Petite peur, mais ça se termine bien. Je serai quitte d'un voyage Manali-Kulu, aller-retour

pour rien. Dans ces cas là, on imagine les conséquences sur le voyage si, définitivement, on

avait perdu nos sacs et l'on ne peut s'empêcher de repenser à ce pauvre type de Bombay ou

aux deux zonnards de Hardwar.

 

 

*

 

 

MANALI

 

Le brusque changement de climat nous fait frissonner. Manali se trouve à 1 800 mètres d'altitude,

les neiges éternelles ne sont pas loin. Hors de question de dormir dehors d'autant plus qu'il pleut.

Encapuchonnés danqs nos K-ways, on repère les lieux. Un chemin serpente entre quelques vieux

chalets de bois, noircis par le temps. On pourrait se croire dans les Alpes, mais malgré cette brume

de montagne, on sent qu'on peut se trouver sur le seuil d'un univers de glace bleue, un monde

interdit , réservé aux Dieux : tout est multiplié à l'échelle des plus hautes montagnes du monde ;

des vallées, des gorges, des sapins comme jamais on en a vus. Bref, nos Alpes d'un seul coup ont pris des allurs de collines.

 

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Des enfants, aux yeux bridés, aux joues rouges, nous accueillent en criant. Une Tibétaine travaille sur son métier à tisser.

Les drapeaux à prière font leur devoir en silence.

Le cannabis pousse aussi naturellement et abondamment que le trèfle ou le pissenlit.

 

On arrive sur la place d'un hameau. Du monde est assis parterre, en ligne, attendant sagement qu'on serve le repas. On nous fait signe de venir nous asseoir avec eux. Il y en aura pour tout le monde ; c'est un repas de mariage, nous explique-t-on. Du riz blanc, des sauces douces, des morceaux de mouton. Un régal ! Mais on termine précipitamment, la pluie recommence à tomber drue.

 

Manali est un peu la station de montagne à la mode, où les riches familles de Delhi viennent passer une semaine de fraîcheur. Un genre de petit Chamonix indien avec ce qu'il faut de restaurants, d'hôtels et même de dépaysement, car les réfugiés tibetains ont transformé la région.

 

Dharamsala, le lieu d'exil du Dalailama nr se trouve qu'à une centaine de kms d'ici, ainsi que la province du Tibet. Temples en pagode, Monastères bouddhistes, drapeaux à prières, marchés tibetains sont par ici choses courantes.

 

Il n'arrête pas de pleuvoir ! On ne sort pas de la chambre que pour aller s'abriter dans un de ces restaurants pù l'on nous apporte un plat qui mijotte et qui fume encore une fois posé sur la table.

On se fait plaisir à chaque repas ; c'est tellement rare qu'on en profite.

 

Cette pluie glaciale qui nous fait grelotter, se transforme peu à peu en neige fondue, puis en gros flocons. Le mauvais temps nous incite à se laisser aller, à prendre le temps de prendre le temps ; farniente, patoufflard au coin du feu.

Deux jours dans un ''café'' de montagne, une cabane de planches plus ou moins jointes, où du monde, des indiens et quelques routards viennent, comme nous, se réchauffer.

 

On passe le temps devant les braseros avec des guitares, des flûtes, des parties d'échecs et des shilums qui tournent inévitablement.

*

 

Durant la nuit, la pluie a laissé faire les étoiles et ce matin, le soleil et son ciel bleu ont achevé la transformation, la touche finale de ce nouveau tableau.

 

Cette fois, la blancheur des montagnes, tout autour, est éblouissante, le décor somptueux.

On aura du mal à partir.

  

*

  

MANIKARAN

 

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 Durant quelques heures sur une route de montagne plus ou moins goudronnée, on se cramponne à chaque tournant qui domine le précipice. Le chauffeur du bus conduit comme un fou ! Chose qui est loin de nous étonner depuis qu'on voyage en Inde, mais qui est quand même bien loin de nous tranquilliser depuis qu'on a vu ce bus de la même ligne avec une roue dans le vide, presque en déséquilibre.

 

Très haut, en face de nous, la blancheur de l'Himalaya déjà empourprée par les couleurs du soir, nous oblige à pencher la tête très bas, pour l'apercevoir par le pare-brise du bus.

 

 

*

 

 

Manikaran se situe sur une seuke berge de la rivière comme Rishikesh, Hardwar ou Bénarès et fait face à la seule route de communication qui, d'ailleurs, ne vas pas plus loin. Moins touristique, plus

religieux, le petit village est encastré au fond d'une vallée au nom divin de Parvati (la compagne de

Shiva). C'est donc un lieu saint, d'autant plus qu'au centre du village, l'eau sort fumante et bouillon-

nante de sulfure.

 

La source est vénérée comme le temple et les bassins. Les habitants ont la chance d'avoir de

l'eau chaude à volonté dans cette région glaciale en hiver.

 

Nous aussi, on profitera d'un bain chaud, chaque matin, dans le bassin sacré, où curieusement très

peu de gens viennent se baigner.

 

 

*

 

 

 

 

Quelques routards sont regroupés dans un restaurant. Le patron fait des affaires, il a trouvé la

combine pour attirer la clientèle occidentale : la musique. De plus, le dhal et les haricots

n'emportent pas la bouche et au-dessus, à l'étage, on peu dormir pour 8 roupies, dans des petites

chambres sans lit. Enfin, c'est donc la musique, le principe magique de ce point de rencontre ;

fallait-il y penser, le restaurant est toujours plein. On retrouve un français rencontré il y a trois

jours à Manali ; un voyageur de l'Asie, comme nous, qui prend son temps, sans trop se bousculer

pour bouger.

 

On entend parler de Malana, un village reculé, coupé de tout, à une journée de marche. Les deux

zonnards de Hardwar nous avaient déjà renseigné ; on y accède par un treck assez raide tout le long. C'est dur, mais ça en vaut la peine : là-haut, c'est le moyen âge, une plongée dans le passé

des siècles en arrière.

 

 

 

 

*

 

 

 

 

BLADY

 

 

 

Blady est le seul village après Jarry sur le treck de Malana. On s'y arrête pour la nuit car il se

fait tard et il pleut.

 

C' »est un groupe de routards qui nous héberge. Plus ou moins installés ici, depuis plusieurs mois,

il occupent une pièce d'un chalet qui surplombe une immense vallée.

 

Par les fenêtres sans vitres, on aperçoit le brouillard qui s'accroche à la neige des sommets. La

petite bande se laisse vivre entre montagnes, musique, shilum et quelques corvées de bois ou de

provisions à remonter.

 

Par ici, la vie est simple et belle à voir ; on comprend que certains s'arrêtent et s'installent pour

la regarder passer.

 

 

*

 

 

Au matin, on quitte ces occidentaux en les remerciant de leur hospitalité. Eux aussi nous ont

parlé de Malana, juste assez pour nous donner l'envie et le courage d'un treck de 6 heures.

 

Un ou deux tchaï, quelques petits gâteaux secs dans le ventre, on marche de bonne allure. Le

soleil est revenu, le treck ne monte pas trop pour le début et le fond de l'air est presque frais.

 

Le chemin suit la rivière qui descend en rapide, la traverse par de vieux ponts sans rambarde,

la domine depuis un versant en éboulis. On sort d'une forêt silencieuse de sapins géants. On

se perd dans un troupeau de moutons. Un vieux chalet de bois noir croule par le poids des ans,

une cascade effilée dans la fraîcheur du vert, les lutins ne sont pas loin ….

 

Les neiges majestueuses se découvrent au fur et à mesure que l'on monte. Un aigle royal

et lumineux dans l'ombre du précipice, plane dans les airs, décrivant des cercles symboles

de se perfection.

 

Une femme courbée, un lourd fagot sur le dos, passe sans rien dire, la tête baissée sur son

destin.

 

On commence à reconnaître parmi les rares personnes que l'on peut croiser sur ce chemin,

les habitants de Malana. D'abord par leurs vêtements de jute, rapiécés et rafistolés, taillés

grossièrement dirait-on, dans des sacs de patates. Nous avons remonté le temps ! Nous

arrivons en pleine époque médiévale. On les reconnaît aussi, et là c'est encore plus étrange, s'ils s'arrêtent à l'écart, nous saluent très fort d'un '' Namasté '' et, prudemment, attendent qu'on soit passés pour reprendre leur chemin.

 

On nous a prévenu : ces gens, coupés du reste du monde, arrêtés dans le temps, respectent

d'une façon extraordinaire le principe des castes. Là-haut, dans le village, la distinction des castes

est restée un devoir sacré, '' vitale '' pour tous les habitants. On se demande comment ça se passera ; si l'on pourra nous héberger, nous, les impurs.

 

 

 

*

 

 

 

MALANA

 

 

'' Don' t touch ! '' Deux mots appris, répétés sans cesse à notre intention, dès notre entrée dans

le village. C'est très sérieux, on nous interdit de toucher, de frôler les murs des maisons ;

d'autant plus grave serait notre situation si l'on s'avisait de toucher un habitant ! On nous fait

signe de ne pas s'écarter du chemin. Les siècles ont noirci le bois et la pierre de ces chalets

Himalayens, ont plié les poutres, émoussé les ciselures, vieilli la verticale des façades. Plus

proche que jamais dans le voile des brouillards d'altitude, la blancheur sacrée des neiges.

Bien au milieu du chemin, on traverse Malana sous le regard rieur des enfants enveloppés

dans leur haillon de jute.

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On nous conduit vers une maison, au bout du village, où la famille qui y vit est susceptible de

nous recevoir sans crainte de se sentir souillée. Ces gens qui nous accueillent sont donc aussi

intouchables que nous. Une famille comme les autres, mais pourtant ici, tout le monde

s'accorde à reconnaître en eux, une impureté ancestrale.

 

 

 

*

 

 

Assis parterre, on se réchauffe les pieds et les mains près du poêle qui crépite ; dehors, par la

fenêtre sans vitres, on entend la pluie qui ne cesse de tomber. Cette soirée autour du poêle, avec

cette petite famille, dans cette pénombre nocturne douce, irréelle, est inoubliable, on le sent bien.

Une veillée toute simple, sans artifice, avec son odeur à elle, sa lueur, sa chaleur.

 

La mère a un visage épanoui par la douceur d'un sourire qui jamais ne s'éteint. Son petit morveux

de dernier, la fille et le plus grand d'une dizaine d'années sont heureux de notre présence.

 

Consciencieusement, le père entretient le foyer de sa pipe à eau. Le glou-glou sort en un parfum

de tabac frais, inconnu et suave qui ferait craquer plus d'un non fumeur.

 

On termine la soirée avec les enfants : partie d'osselets, '' cours de français '', on ne se lasse pas

de les regarder faire, de les écouter rire de bon coeur, ces enfants de l'Himalaya.

 

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*

 

Ce soir, le garçon de la famille nous accompagne jusque devant le chalet où l'on peut acheter le

nectar de cette vallée des fleurs : le miel.

Mais ici, et surtout lorsque l'on est étranger, il vaut mieux s'armer de patience. Les choses évoluent

lentement pour trouver la bouteille, la remplir et discuter le prix.

Nous, on attend dehors dans le froid de la nuit car il n'est pas question de pouvoir pénétrer dans

la maison de ces gens.

Enfin, le gars ressort avec son miel. Il faut, pour payer la bouteille, déposer l'argent parterre.

Pas d'échange de la main à la main, pour ne pas risquer la souillure qu'est sensé engendrer le

moindre contact. Il ramasse l'argent et dépose la bouteille au même endroit.'' Caste inférieure '',

'' race impure '', on se sent bien différent. On finirait par le croire, tellement ils sont naturels et

prompts à s'écarter dès qu'on s'approche d'eux.

On nous rappelle à l'ordre, sans arrêt, par les '' don't touch ! '' , mais les enfants nous crient

'' Hello ! ''.

On nous aime bien quand même !

 

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*

 

 

Notre visa de trois mois arrive à expiration : dans quatre jours, nous n'aurons plus le droit de

séjourner en Inde. On doit donc se rendre à New-Delhi pour demander le visa népalais et

envisager le voyage vers Kathmandu.

 

Malana nous montre avant de partir, ses plus belles couleurs : une matinée de printemps dans

l'Himalaya. Un enfant passe devant nous, marquant un rythme sur spn packawage et disparaît

derrière un vieux chalet de bois.

 

Juste en face, une cascade plonge dans l'abîme de la vallée. On revient sur Blady par le même treck, en sens inverse, mais à une allure plus soutenue car on ne fait que descendre.

 

On croise une expédition himalayenne qui doit passer par Malana ; une quinzaine de singapouriens

bien encadrés devant par des guides et derrière par des sharpas qui suivent avec des kilos de

matériel sur le dos.

 

On l'a échappé belle ! On a eu la chance de connaître cet extraordinaire village de Malana, avant

l'invasion singapourienne.

 

 

 

*

 

 

DELHY

 

 

Du jour au lendemain, on se retrouve comme aux premiers moments du voyage : harcelés par

le bruit, les odeurs, le monde. Mais cette fois, malgré le changement brutal de décor , on se sent

moins perdus : on a quand même trois mois de route en Inde dans la tête et tout cela finit par ne

plus choquer. Delhy, c'est un peu la corvée, les montagnes commencent à nous manquer.

 

 

 

*

 

 

Pas de temps à perdre. On court régler cette histoire de visa à l'Ambassade du Népal. Voilà donc

le voyage qui se transforme, qui s'étire vers le Nord. On fait de vagues projets pour l'après-Népal.

Mais si on en parle depuis Paris, tout ça paraît quand même très flou, presque irréalisable ;

le Tibet, la Chine ? Le problème est tout simplement la difficulté pour obtenir le visa chinois. On rencontre des gens qui affirment que c'est cher et très compliqué. Enfin, on s'occupera de tout ça à Kathmandu.

 

*

 

Même à New-Delhy, les photomatons sont inexistantes et une photo d'identité est un luxe qui ne

court pas les rues. L'automatisme viendra tôt ou tard. Mais pour l'instant, c'est encore le vieux système. On s'assoit entre un torchon à rayures qui sert de toile de fond plus ou moins nette et

cet étrange appareil à soufflets, perché sur un trépied, avec lequel on prend une photo en retirant une seconde ou deux un cache de l'objectif. Tout ce petit cinéma en attendant nous coûte bien cher.

 

Thé, jus d'orange, jus de canne à sucre, tout y passe pour tenter de se rafraîchir. Il fait chaud et

lourd, on a l'impression de se traîner. On décide d'aller piquer une tête dans l'eau bleue d'une

piscine.

 

 

 

 

L'entrée ne coûte que 2 roupies. On paie, on nous donne deux tickets et on file vers les vestiaires.

Mais là, on nous arrête, il ya un problème avec nos tickets : ''No swim ! ''. On ne comprend pas, on

revient vers la caisse. On nous explique que les billets vendus nous permettent seulement de

regarder les gens se baigner, mais en aucun cas, de nous baigner nous-mêmes...... On n'en revient

pas ! Le plus fou dans cette histoire, c'est non seulement que l'on refuse de nous vendre des billets

''baignade'', mais cet abruti derrière son guichet ne veut pas nous rembourser ! On se demande où

vont-ils imaginer tout ça. Encore de l'insolite absurde dans le plus pur style indien.

 

 

*

 

 

Au tourist-camp, il y a un départ de car pour Kathmandu. C'est cher, mais on n'a pas le choix :

notre visa se termine, il nous faut un car direct ; et puis, tout compte fait, un car un peu plus

confortable de temps en temps, ça repose ! En fait …. Delhy – Kathmandu, un voyage

interminable, pénible. A lqa frontière népalaise, on passe une journée à attendre, attendre quoi,

personne ne sait vraiment.

 

Les douaniers défont la bâche sur le toit du car et se mettent à fouiller un par un les sacs, les

balluchons, les valises. Jusqu'à Kathmandu, les check-posts se succèdent toutes les demi heures.

A chaque fois, on redéfait la bâche, on refouille les bagages, on prend son mal en patience.

Il paraît qu'il y a des élections et des bombes dans l'air …..

 

 

*

 

 

KATHMANDU

 

 

 

Ville du Moyen-Age avec musique rock et steak-frites, tout le monde le sait, Kathmandu est

le grand carrefour du tourisme en Orient.

 

Durbar Square, Freak street, Tamel, autant de quartiers où l'on est sûr d'en croiser, de ces

touristes à la petite semaine, de ces '' explorateurs '' qui se risquent dans des ruelles boueuses,

de ces groupes organisés, bien rassemblés, de ceux qui gardent fièrement l'équipement complet du parfait trekkeur himalayen jusqu'au voyageur de l'Extrême Orient en attente de visa ; les seuls

qu'on s'attend à voir et qu'on ne voit plus, ce sont les ''freaks'', les hippies de Kathmandu ont

déserté depuis quelques années déjà, ne laissant derrière eux qu'une vague empreinte de leur

époque dans une rue qui porte bien leur nom : Freaks street.

 

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*

 

 

Dans les ruelles du vieux Kathmandu, au milieu de ce petit monde sympathique, on n'a rien d'autre à faire que de repérer les bons restaurants ; tourisme oblige, ici, il y en a pour tous les goûts. Ils

ont tout prévu pour tout le monde. On passe du bon vieux décor soixante-huitard aux crêpes

suzettes en terrasse. Des chambres puantes pour routards modestes, des pâtisseries, salons de thé,

des palaces, des restaurants spécialisés en musique avec des centaines de cassettes, la quadriphonie

en permanence.

 

Là où bizarrement le touriste reste sur sa faim, là où il se demande ce qu'il est venu faire, c'est à l'Office du Tourisme. C'est propre et moderne mais on ne sait rien de plus quand on en sort. Le fait est que c'est gratuit.

 

 

Entre les temples en pagode, les cours intérieures dédiées à Bouddha, sous les fenêtres de bois

sculpté, d'une échoppe à l'autre, on se balade tranquillement, comme en vacances.

 

L'artisanat touristique au Népal est loin de laisser indifférent, tout fait envie. On craque pour

des motifs en fil de soie brodés et quelques fringues, on en avait besoin.

 

 

*

 

 

Notre chambre d'hôtel est bien située, claire et propre. Un peu chère, mais on ne peut pas tout

avoir. C'est vrai que normalement, on devrait avoir la douche chaude à volonté (le luxe), la

terrasse panoramique sur toute la ville avec vue sur les neiges éternelles, le matin de bonne heure.

 

 

*

 

 

Une douche froide et on prend l'extraordinaire habitude de sortir de l'hôtel vers 8 H le matin ;

et pour faire honneur à la paisible journée qui nous accueille, on s'en va, notre bouteille de miel

de Malana à la main, se faire plaisir devant un de ces fameux petits déjeuners comme on les

aime en voyage ; le restaurant de '' Cabin '' est notre favori pour se réveiller en douceur. On choisit

notre musique d'ambiance, notre menu, mais on apprécie l'endroit d'abord pour son tableau vivant :

le spectacle de la rue derrière une vitre, vue plongeante sur un carrefour du vieux Kathmandu.

 

La place se remplit de monde, à vélo, à pied, à cheval ou en charrette. Les vendeurs de flûtes

font savoir qu'ils sont là, les vendeurs de glaces, les vaches, les touristes et les porteurs, les

rickshaws et les dealers, tout le monde va et vient dans la merveilleuse danse du destin de chacun.

 

Et nous, derrière notre vitre, de haut, entre un bol de corn-flakes et des ''fried-eggs'', on pense

'' c'est donc çà Kathmandu '' !.

 

 

*

 

 

A Freak Street, les agences de tours organisés vers Lhassa, la capitale du Tibet, ne manquent pas

mais les tarifs sont exorbitants ! Un exemple de prix parmi tant d'autres : 350 $ pour une dizaine

de jours ! On nous assure qu'en Chine, on ne peut faire autrement que de voyager en groupe et qu'en outre, le visa ne peut être délivré que par leur intermédiaire. Cela nous paraît gros ! On

décide, pour en savoir plus, d'aller se renseigner à l'ambassade de Chine. Les grilles sont fermées,

ce n'est pas le bon jour.

 

On a quand même la chance de ne pas être venus pour rien, puisqu'on rencontre là-bas un Européen,

apparemment bien au courant des formalités à effectuer. Bref, on apprend que non seulement c'est

possible d'obtenir le visa individuellement, mais qu'en plus, ces démarches ne sont ni compliquées,

ni coûteuses.

 

On nous parle d'une agence dans le centre de Kathmandu qui enverrait à Pékin notre numéro de passeport par télex et ce, pour une centaine de roupies, histoire de contrôler et d'autoriser le cours

des démarches qui suivront. Voilà le premier maillon de cette chaîne.

 

 

 

*

 

 

 

La pluie du début de mousson a inondé certains vieux quartiers. Et chaque année, on recommence

à patauger tranquillement dans la gadoue, en attendant de trouver une solution. Apparemment,

ça n'a pas l'air de les émouvoir. C'est vrai que la mousson ne tombe pas en pleine saison

touristique.

 

Un torticoli, les classiques et inévitables coliques du Népal, une ampoule au pied bien infestée,

que je traîne depuis le treck de Malana et nous voilà quittant Kathmandu pour Pokara, histoire de se refaire une santé dans une région qu'on surnomme '' la vallée de l'hépatite ''.

 

Tout le monde parle de Pokara : le camp de base des treckeurs pour le tour de l'Annapurna, le lac

et ses couleurs, les restaurants bien sûr, '' les champignons magiques '' et les plus de 8000 m, à portée de vue.

 

 

 

*

 

 

POKARA

 

 

 

On s'est fait une raison de risquer notre nuit à la belle étoile ; vu l'heure tardive hier soir, le

bonhomme de l'hôtel a dû se croire indispensable et n'a pas hésité à gonfler le tarif de ses chambres ; ça nous a fait fuir.

 

N'empêche que ce matin, après un réveil en sursaut pour planquer nos affaires, la pluie a laissé

place un court instant à la majesté de l'Annapurna, entre deux voiles de nuages ; la seule fois où

in aura l'honneur de l'admirer.

 

*

 

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Le temps plus que maussade nous retranche dans les petites gargotes qui foisonnent le long du lac ;

steak-frites, parties d'échecs, guitares comme d'habitude. On passe le temps à farfouiller chez les bouquinistes ; une ballade en barque sur le lac, la lune à travers un télescope, un chien pouilleux

qui se fait lyncher à coup de pierres et on pense déjà au retour vers Kathmandu.

 

Pour ne pas avoir trop de remords de quitter Pokara, sans avoir fait le traditionnel petit tour du côté du camp de base de l'Annapurna, on décide de s'offrir une randonnée de trois jours ; un petit treck

qui suit dans les montagnes la route de Kathmandu.

 

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Trois longues journées de marche bien sportives au milieu des lits de rivières, des villages perdus,

du soleil et de la pluie, des sangsues, les neiges éternelles de l'Himalaya et le sourire des Népalais.

 

On termine notre petite aventure en poussant des hauts cris sur le toit d'une jeep : rodéo assuré

pendant 20 bornes, sensation '' Foire du Trône '' avec le danger en plus.

 

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

RETOUR à KATHMANDU

 

 

D'abord pour le visa chinois qui nous trotte toujours et plus que jamais dans la tête. On n'ose y

espérer et pourtant ça à l'air possible. On fait les navettes à vélo : l'ambassade de Chine, l'agence

de télex, la Nepal-Bank et les bouquinistes de Freak-Street, pour tenter de trouver par hasard un

guide sur la Chine et par miracle une carte pour se réconforter si on se perd au fin fond du

Xin-Jiang.

 

 

*

 

 

On aura dépensé en tout une trentaine de $ pour les deux visas. On a plus qu'à attendre une

petite semaine. Un peu comme on attend les résultats d'un examen. Un couple de suisses que l'on

reverra plus tard au Tibet s'étonnent de nos démarches. Eux sont passés directement par une de

ces agences qui offrent aux touristes un séjour au Tibet pour 280 $ tout compris. En ce qui

concerne notre système D, ils sont perplexes. On les comprend.

 

Durant cette semaine de battement, on en profite pour s'imprégner un peu plus de cette ville, à vélo ou à pied et aussi pour renouveler le passeport de Pascal à l'ambassade.

 

De Swayambu à Patan, New-road ou Tamel, Kathmandu, on commence à connaître. Côté restaurant, on assure les visites aussi souvent que possible. On se donne une bonne raison : dans peu de temps, on ne sait pas trop ce qu'on trouvera à grignoter là-bas, sur les hauts plateaux tibétains.

 

 

*

 

 

Un visa chinois valable 3 mois, les 800 kms de pistes poussiéreuses en toyota, des passages de cols à 5000 m d'où on s'en sort plus ou moins bien, l'Everest et des lacs d'altitude plus bleus que le ciel, des vallées désertiques et on arrive à Lhassa, la plus haute capitale du monde (3800 m) avec dans la tête une complète remise en question de l'itinéraire du voyage. On s'en serait douté : la Chine est devant nous !

 

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*

 

 

LHASSA

 

 

On occupe avec Gil, un Français qui a fait le voyage depuis la frontière avec nous, un dortoir de

quatre lits au Banack Shol, l'un des trois hôtels de la ville réservés aux étrangers. On se croirait presque à Kathmandu, au début de son ère touristique. Certains décorent les murs de leur piaule

à grands coups de couleurs psychédéliques.

 

On transforme, on modernise, on canalise, on se met au goût du jour, pour recevoir décemment

les premiers touristes que nous sommes. Le Tibet vient d'ouvrir ses portes, on s'en aperçoit même

dans la capitale qui conserve encore, en plus de ses extraordinaires rites religieux, en plus des

costume ancestraux des habitants et malgré l'occupation chinoise qui bétonne tout autour, un petit

train de vie centré vers le marché, qui n'a pas dû beaucoup changer au cours des siècles.

 

 

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Mais déjà, on vient de loin ; chaque jour les Kampas des montagnes affluent vers la ville sainte, renseignés par les rumeurs qui circulent à travers le pays. Il y a des affaires à ne pas manquer avec

tous ces touristes. Le black-market, les turquoises de famille, des fourrures de panthère ; on vend

de tout, partout et on ne discute pas le prix. Les groupes de touristes californiens sont, comme partout, le type même d'étrangers qu'on attend et qu'on apprécie.

 

Eux font le plein de babioles de ce bout du monde. Pas de temps à perdre, on accepte sans sourciller le tarif de ces pauvres gens et on s'en retourne tout content. Au début, ça a dû surprendre, mais on s'y fait vite. Tout est vraiment très cher dans cette petite ville.

 

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Le Potala étant le plus grand monastère du Tibet et en outre l'ex résidence du Dalai-Lama, les

Chinois le considèrent comme un musée, même si c'est un lieu hautement spirituel pour les bouddhistes.

 

Avec ses treize étages, tout est en bois, en terre et en pierre, il domine Lhassa comme une forteresse. L'entrée en est payante et les photos rigoureusement interdites. Devant l'entrée

principale du colossal bâtiment, un gardien, dans tous ses états, brandit une barre de fer et

postillonnant d'agressivité, nous rappelle cette condition formellement stricte de la visite. Cette

chose étant bien claire, on pénètre dans le labyrinthe d'escalier et de couloirs obscures.

 

Dès les premières minutes, on se retient de juger ce que l'on voit : le bouddhisme tantrique devant

nous, plus parlant que dans un livre, avec sa philosophie du détachement absolu, de la simplicité poussée à l'extrême et la complexité de son culte : l'odeur grasse du beurre rance, des centaines

de casiers occupés par un petit bouddha à la mine énigmatique, des statues de ''bienheureux'' en

méditation et autres adorations de plusieurs mètres, dorées, brillantes de rubis et bordées de billets

de banque, impressionnantes à souhait dans la pénombre ; le marmonnement monocorde d'un vieux

moine devant une photo du Dalai-Lama, etc...

 

En tout, plus de mille pièces, dix mille sanctuaires et deux cent mille statues. Un peu l'étrangeté du temple de Meenakahi à Madurai, en plus calfeutrée. Trois ou quatre photos d'une fresque et déjà

un garde rouge a tôt fait de mettre la main sur la sangle de l'appareil et de tirer de son côté, moi

du mien. Impossibilité de lui faire lâcher. On commence à s'énerver, lui reste calme, avec un sourire et une expression dans le visage qui nous rappellent qu'on a affaire à un chinois et qu'on n'a pas fini de cette histoire.

 

Comme en aucun cas on ne veut lâcher l'appareil, il faut attendre, ça à l'air sérieux ; on risque une

amende, la confiscation de la pellicule, la prison ? On est en Chine et notre bonhomme de garde rouge a reçu des consignes à faire respecter ; et il fait son boulot, le bougre.

 

Devant notre insistance, il va jusqu'à nous montrer son flingue. On n'en revient pas ; on tire de plus belle sur la sangle qui finit par casser .

Une demi-heure plus tard, la colère est tombée. Ceux qu'on attendait ne sont toujours pas là. On

nous fait signe qu'on peut partir. Avertissement pour le reste du voyage.

 

 

 

*

 

 

On the road again ! Et nous voilà repartis barbe et cheveux dans le vent, pour des milliers de Kilomètres. Au programme, la traversée du Tibet en stop jusqu'à une première grande ville

chinoise, Chengdu que l'on devrait atteindre après 2 ou 3 semaines de piste. Ensuite,ChongKing

et la descente du Yang-tsé-Kiang (machère !) jusqu'à Huan et peut-être même jusqu'à Shangai.

Et en dessert, on termine ce petit voyage en Chine communiste par un dépaysement radical au

pays des trusts internationaux, le New-York de l'extrême orient, là où on fleure bon les dollars

à portée de main, ou l'arnaque à plein nez : Hong Kong. De là, suivant le budget, on prendra l'avion

pour Bangkok, Kathmandu ou Delhy … Rien que ça !

 

On ne se rend pas réellement compte des distances énormes qu'on aura à couvrir, quand on regarde

la carte, mais quand bien même, la Chine serait deux fois plus vaste, on bouillonnerait autant à

l'idée de pouvoir y plonger.

 

Ca doit être ça, la maladie du voyage. On se dit, pour se donner du courage, que c'est le trip

d'aventure qui pourrait faire craquer d'envie le plus pantouflard des Aoutiens.

 

Gille, qui n'en n'est pas à son premier voyage, continue son bout de route avec nous. Il a opté

pour la Chine et remet comme nous Kashmir, Laddack et Zanskar, à plus tard. Pour ce premier

jour, on ne peut pas dire que le stop soit bien convaincant. Le dernier camion nous dépose à une

quinzaine de kilomètres de Maizo Kungar, dans un petit village de montagne où visiblement aucun

touriste n'a été accueilli jusqu'alors.

 

On se fait le plaisir de nous offrir notre premier vrai repas tibétain : la tsampa. De la farine qu'on

pétrit dans un bol et qu'on mâche en évitant de respirer par la bouche, entre deux gorgées de thé

au beurre de yack, pour ne pas s'étouffer.

 

Il faut qu'on apprenne à apprécier. La tsampa est la nourriture de base et les tibétains ne manqueront pas de nous la présenter à la moindre occasion.

 

Ce vieux montagnard qui nous accompagne jusqu'à la sortie du village nous explique, ému, en nous

montrant du doigt les ruines d'un monastère , que les chinois sont un jour passés par là, il n'y a pas si longtemps.

 

Avant qu'on ne le quitte, il se met à pleurer en prononçant le nom de son dieu exilé : ''Dalai-Lama''.

La plaie est encore à vif.

 

On a beau parler de ''libération du Tibet'' et regretter certaines erreurs commises dans la foulée,

la révolution culturelle a laissé derrière elle des traces indélébiles, pas très belles à voir.

 

 

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*

 

 

Une nuit dans la cabane de deux jeunes bergers et on reprend la route toujours vers l'est. Les camions et les villages se succèdent. Un col à 5000 m, beaucoup de poussière. Pn rencontre un

Européen découragé qui revient finalement à Lhassa après trois jours d'attente à Maizokungar.

 

 

 

Une Anglaise fauchée qui fonce vers Hong-Kong pour toucher son fric. Un pauvre type usé par l'effort, qui vient d'Irlande avec son vieux vélo à 18 vitesses. Et puis, à Kungpo Chianto, des

Chinois surprenants par leur lenteur d'esprit, leur regard sans expression et crispant par des moeurs

pour le moins incompréhensibles. Ici, par exemple, il est de bon ton de collectionner le plus

naturellement qui soit et le plus longtemps possible dans tous les restaurants du coin, les oeufs les

plus pourris qu'on puisse trouver (on saura par la suite que c'est une des spécialités chinoises). Un autre fait : il est indispensable pour le client d'un hôtel ou d'un restaurant de connaître absolument à l'avance, le prix de ce qu'il a consommé ou il se verrait confronté d'un véritable légume dont il ne

pourrait rien tirer, ni dans le regard ni dans l'allure générale.

 

 

 

*

 

 

Linchi, à 500 Km de Lhassa est une triste petite ville chinoise où les gens s'occupent comme ils

peuvent entre de vagues parties de billard sur des tables grosso modo rafistolées à cet effet et des

tirs de carabines à air comprimé sur des balles de baudruche. Faute de camion, on a du mal à

décoller.

 

A quelques Km de là, assis puis allongés sur des tronc d'arbres, on passe le temps à grignoter des

graines de tournesols. Les camions se font rares ; la pluie et la nuit ont fini par tomber. On redescend, un peu déçus à Linchi.

 

Le lendemain, à force de poser des questions à ces gens qui se marrent inévitablement quand on

s'adresse à eux, on apprend qu'on ne peut plus trouver de camions qui partent vers Chengdu. La

route est coupée, tout simplement. Une rivière qui aurait emporté un pont. Bref, impossible de

continuer et pas d'autre solution que celle.... de revenir sur Lhassa pour tenter, si le coeur nous

en dit, une autre piste un peu plus au nord. On a du mal à se décider, 500 Km pour rien, 1000 Km

avec le retour. On tombe de haut, on ne s'attendait pas à ce coup-là !

 

 

*

 

 

RETOUR à LHASSA

 

 

Pour notre consolation, deux jours plus tard, on est à Lhassa, grâce à deux camions directs.

 

Au Banack Shol, on bétonne toujours autant. La ville entière se transforme jour après jour. On

a repeint les devantures, rebouché les trous d'égouts, recopié les menus en anglais. On serait

curieux de revoir Lhassa dans cinq ans …..

 

 

*

 

 

Encore une fois, pour le piquant du voyage, un de ces bouleversements de projets vient, dès les

premières heures de notre arrivée, remettre tout en questions. On suspend pour l'instant, le trip

vers Chengdu . Un retardement en quelque sorte. Simplement, à causer de cette chose unique

dont tout le monde parle. Dans une semaine, le 21 juin, aura lieu un festival ''à ne pas rater''.

Festival de lama avec danses, costumes et masques qu'on a préparé depuis la dernière fête,

il y a … 25 ans !

 

En ce plus long jour de l'année, la lune nous fera l'honneur d'être pleine.

Ca dure plusieurs jours et ça se passe dans un petit bled bien tibétain, une oasis du Brahmapoutre : Samyé. Une

journée de camion, on n'est plus à ça près. Une semaine de battement donc. Un peu comme des

vacances. On en profitera pour connaître les environs de Lhassa. Serra et Drepung , deux

monastères qui ont, ce qu'on leur recherche toujours un peu, quand on est touriste et qu'on vient

d'Europe : un cachet mystérieux et juste ce qu'il faut de mystique pour impressionner le plus

rationnel des matérialistes.

 

 

*

 

 

Le Banack Shol, c'est bien joli et c'est bien l'hôtel le moins cher de la ville, mais notre budget,

après quatre mois de voyage, en est arrivé au point de nous faire mal quand on laisse partir

13 yoans (25 F.) pour une piaule d'hôtel. De ce fait, on pense à ce qui nous attend : qu'on a

ma Chine à traverser coûte que coûte et Bangkok à joindre tôt ou tard. Le temps des économies

est donc venu.

 

 

*

 

 

SERRA

 

 

Depuis le village, on aperçoit dans les hauteurs, quelque chose qui nous tenrte bien pour y passer la nuit. Perchées sur un nid d'aigles, les ruines d'un monastère qui n'a pas complètement détruit la

révolution culturelle et certainement habité par quelques lamas.

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A quatre mille mètres, les sacs pèsent leur poids et le manque d'oxygène nous fait souffler comme

des boeufs. En bas, les cho-dong font vibrer l'air et appellent les moins aux services religieux ;

on s'arrête, surpris par l'ombre d'un aigle royal. Pas de chemin, ça monte raide, deux cents mètres

de dénivellation, la nuit qui se met une fois de plus à tomber sur nous avec des questions qui

encouragent dans ces cas là : qui va-t-on rencontrer ? Comment allons-nous vivre cette soirée ?

Qu'allons-nous apprendre de plus ?

 

Questions qui restent bien sûr sans réponse, au moment où on se les pose, mais qui apportent d'un

seul coup la sensation vertigineuse de notre situation à cette époque de notre vie. Et le fait est que

c'est complètement fou : on se trouve en plein Tibet, à 4000 m d'altitude et on va forcément vivre

quelque chose de fort. Une soirée avec des gens qui ne pourront jamais comprendre pourquoi on

vient de si loin pour les rencontrer.

 

Une dizaine de grands yacks sont les premiers à nous accueillir : les buffles de l'Himalaya,

imposants comme des bisons. Des cornes d'un mètre, une laine épaisse leur couvre les flancs

et tombe en mèches noires qui flottent au vent, un regard sombre qui pourrait faire pâlir .

Impressionnants bestiaux, agiles, peureux et sauvages comme des chèvre.

 

 

 

*

 

 

Notre arrivée n'est pas pour eux aussi bouleversante qu'on s'attendait. Ils nous ont vu venir

depuis un moment déjà, eux qui vivent là comme vivent les aigles. On nous soulage de nos sacs

et on nous fait entrer et asseoir dans la pièce où l'on vit.

 

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Le thé au beurre est servi. On se comprend très vaguement par gestes, par dessins, par déductions.

A chaque réponse, étonnements, hochements de tête, commentaires et on passe à une autre question qu'on crie pour qu'elle aille bien profond dans nos têtes, car apparemment ce sont les oreilles qui ne

comprennent pas. Parmi ces quatre Tibétains qui nous considèrent tant, trois sont moines, plutôt

jeunes et qui n'est pas vraiment cet air ''transcendantal'' de ceux qui auraient choisi de leur plein gré,

une voie aussi catégorique que la retraite monastique.

 

Mais tout ça ce sont des mots français, une pensée à ''l'occidentale''. Tout est tellement différent

qu'on doit s'abstenir de comparer car on risquerait de juger.

 

Le quatrième est un montagnard au visage buriné, plus vieux que les trois autres. Ensemble, on

essaie tant bien que mal de communiquer. On leur explique d'où l'on vient, quelle est notre route.

On leur montre la photo du passeport, ça a toujours son petit effet.

 

On les regarde feuilleter la Bhagavad-Gita. Les exclamations fusent à chaque planche. Ils ne

connaissent pas le livre, mais ils savent bien de quoi il s'agit, surtout dès qu'ils ont remarqué

dans une partie d'un dessin, celui pour qui ils vivent : Bouddha.

 

Ils tournent les pages avec des yeux ronds comme des enfants devant un beau livre d'images.

Après quoi, l'atmosphère s'est complètement détendue. On échange les noms, on devine les

âges et avec une méthode plus ou moins efficace, ils apprennent à parler français, nous,

tibétains, mot par mot.

 

 

*

 

 

Pour dormir, on nous installe des couvertures à l'intérieur du sanctuaire où l'on prie. Les duvets

sont déroulés, on se couche et on écoute dans le silence la vibration grave d'une prière ; celle

d'un lama que l'on n'avait pas encore vu. Avant que l'on s'endorme complètement, ils nous réveillent, nous font comprendre qu'on a les pieds vers Bouddha qui trône au fond de la pièce.

Et ça ne se fait pas ; on change de sens et on s'endort avec le bourdonnement de quatre lamas

en prière.

 

Dans la nuit, on quitte le sommeil une ou deux fois pour se rendre à l'évidence qu'ils sont

toujours là : le même bourdonnement qui nous bercera jusqu'au matin. Le lendemain, on

''gambade'' jusqu'au sommet (4000 m) et on passe le reste de la journée sur un balcon naturel .

 

Biscuit de guerre, parties d'échecs, quelques bouses de yacks bien sèches qui crépitent dans le

feu et comme on voit tout de haut, on médite sur notre condition et celle des Chinois.

 

 

 

*

 

 

Pour ce deuxième et dernier soir dans le monastère, le ciel d'orage en cette fin de journée

nous offre un spectacle extraordinaire, haut en couleurs et en variations de lumières. On n'a jamais

va ça ; on est aux premières loges. La luminosité est féérique, changeante, décomposée,

presque nucléaire.

 

A cet endroit perdu du toit du monde, le destin a choisi de mettre un petit coup de pouce à notre

menu de ce soir, pour changer de la tupka (des pâtes en bouillon) ou de la tsampa tibétaine.

 

 

 

 

Ca sent bon le petit plat familièrement délicieux, bien de chez nous et qu'on sort d'un coup,

comme un petit diable de derrière les fagots. Quand on vous fait le coup de vous servir,

après quatre mois de voyage en Orient, du mouton en pot au feu avec le goût et l'odeur qu'on

connaît, on mange d'abord, on réalise ensuite et enfin on en parle comme si c'était un rêve.

 

 

 

DREPUNG

 

 

 

Drepung est l'un des monastères les plus grands du monde, une véritable ville. En 1959, les

Moines de cette université monastique ont renoncé à leurs voeux non-violents et ont pris les

armes contre les chinois. Aujourd'hui, cette ''ville'' ressemble à un musée historique de vandalisme et du saccage qu'ont laissé derrière eux les maoìstes et leur révolution.

 

Evidemment, maintenant qu'on a ouvert les frontières au reste du monde, que les groupes de tours organisés arrivent à Lhassa par avion et que l'occident raffole de ces choses qu'a fait ou n'a pas

fait le président Mao Zedong pendant la révolution culturelle, on se dépêche de camoufler, de

gommer les aberrations qu'on voit sur certaines fresques, du genre slogants peints en rouge,

portraits de Mao, par dessus un bouddha, impacts de balle ....

 

On relève des ruines : ça fait plaisir aux lamas, ça leur donne du travail et puisque ça fait partie

du patrimoine national de la Chine, ça attire le tourisme. Dans cinq ans, la révolution culturelle,

on n'y pensera déjà plus.

 

 

SAMYE

 

 

Gil est venu nous accueillir à la descente du camion. Lui, est arrivé hier soir. Pour nous, le

voyage depuis Lhassa s'est déroulé sans problème. Le stop, ce serait dommage de ne pas en profiter. Un petit crochet imprévu à Radeu, encore un village retiré dans les montagnes, avec

un monastère et tous les habitants rassemblés sur la place pour nous regarder.

 

Ce matin, la traversée du Brahmapoutre, encore un peu de camion et nous voilà débarqués à

Samyé où nous resterons quatre jours. En fait, si l'on a déjà visité les plus grands monastères

(Potala, Drepung) on se devait de venir jusqu'ici, dans ce site isolé, inaccessible derrière le

fleuve car, en plus de la fête qui se prépare, se dresse ici le monastère le plus ancien du Tibet.

Peut-être aussi le plus symbolique puisque l'ensemble de sa construction représente l'univers

avec le centre du cosmos figuré par le temple principal, le Soleil, la Lune, les ''quatre mondes''

et des pagodes plus petites pour ''les mondes intermédiaires''.

 

 

 

 

*

 

 

La place devant le temple se remplit d'heure en heure, les camions se vident de leur chargement humain ; quelques touristes pâles, toujours repérables au premier coup d'oeil ; de la poussière

en suspension, des Kampas aux allures de Cheyennes ; des vendeurs de pacotilles, de breloques en toc et ces gens qui tournent et retournent – ils sont là pour ça – autour du monastère, en discutant,

en priant avec ou sans moulin, comme ça se fait à Lhassa autour du Jedkan, d'autres font le tour plus lentement, plus profondément en se traînant de tout leur long, la face contre le sol.

 

 

 

 

Certains font aussi des centaines de kilomètres, répétant à chaque génuflexion le

''Aum manipadmeum'' et mesurant de leur corps la longue route de leur pélerinage.

 

 

 

*

 

 

Chaque jour, un peu plus de monde, de poussière ; chaque nuit la lune se fait plus belle et plus

ronde. Mais il faudra attendre le 21 Juin pour qu'on puisse parler véritablement de fête. Sur la

place, en face du temple, une toile qui sert de tente a été montée durant la nuit pour abriter les

musiciens et les hauts dignitaires de cette fête. La foule, quand on arrive, a déjà formé la piste.

Les ''cho-dong'', les grandes trompes font vibrer l'air. Après une petite escalade, on se retrouve

une fois de plus sur un balcon qui devait nous attendre.

 

Le fait est que ces premières loges tentent tous les touristes qui se demandent bien comment

on a pu monter jusque là. Visiblement, on ne passe pas inaperçus : la télé chinoise nous filme,

les journalistes nous mitraillent, on nous montre du doigt. Nous, on salue la foule. Et que le

spectacle commence !

 

De loin, de haut, le début de cette fête religieuse a pris des allures de cirque : la piste, la poussière,

les rires et … les clowns. Ces ''clowns-là'' n'ont d'ailleurs rien de jovial, de maladroit ni-même

de sympathique qu'on reconnaît à ceux de chez nous.

 

Pourtant, malgré leur masque de Mort et leur torse squelettique, ils font rire la foule par quelques

roulades, peut-être aussi par leur seule présence. L'ouverture étant donnée, il s'en suit une série

de sketches avec des personnages surprenants dès leur entrée en piste : grosses têtes, masques

macabres et costume symboliques, le tout évolue dans une vibration quasi-continue produite par

les trompes cho-dong, les cymbales et les gongs, ce qui donne à cet étrange spectacle son ampleur

mystique, sa juste valeur.

 

Entre chaque sonnette, un gaillard très sérieux, muni d'un bâton et d'une casquette, fait le tour

de la piste en criant et en feignant de donner de temps à autre un coup à qui le mérite car c'est

lui le gardien de l'ordre. Le ciel s'assombrit, le vent et la poussière se lèvent. Comme d'un

étrange accord entre les hommes et la nature, le décor s'est transformé tout à coup. Tout devient

très grave par la luminosité. Une dizaine de lamas arrivent à pas mesurés, en robe pourpre et

bonnet jaune, leur tenue d'apparat, entourés par des personnages représentant de toute évidence

la mort.

 

Le vent qui souffle de plus en plus fort a fini par casser une des amarres en s'engouffrant dans

la tente. La scène est bien étrange, surréaliste : le vent, la poussière, la vibration des cho-dong,

ces moines imperturbables et le ciel sombre chargé d'orage. Le calme revenu et les lamas repartis,

des Kampas aux cheveux tressés en une queue de cheval, clôturent la fête. Leur tresse vient

frapper le sol par à-coups successifs au rythme de chants guerriers dignes des tribus Apaches.

 

 

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

LHASSA – CHENGDU

 

 

On est renseigné officiellement par la gare routière qui nous certifie et nous prévient de

l'impossibilité de joindre Chengdu directement, toujours à cause de ce fameux pont démoli.

On remercie ces braves gens pour le renseignement et le matin-même, on part vers l'Est.

Exactement la même route qu'on avait prise avec Gil, quelques jours plus tôt, mais cette fois non pas avec l'espoir mais avec la certitude, on a la foi, qu'on arrivera tôt ou tard à Chengdu.

 

Traverser le Tibet vers Chengdu comme on pourra ; joindre Hong Kong d'une façon ou d'une autre et finir l'aventure en Thailande. On recherche toujours des moments forts, indélébiles, des souvenirs cinglants. Dans cette partie du monde, on sait, après cinq mois de route, que le plus

grand pays d'Asie, la Chine, nous a mijoté à sa façon, un petit menu d'épisodes qu'on n'aura pas

fini d'oublier.

 

 

*

 

 

On repasse le col à 5000 m d'altitude, on retrouve les habitants toujours étranges de Gombo-gyamda

et sans trop de mal, on arrive à Lynchi après deux jours de stop. Jusque-là, on le savait, les camions

vont et viennent. On est à 500 km de Lhassa ; il nous en reste 2000.

 

A partir de maintenant, on passe en zone inconnue. Ca monte raide ; un col à 4 700m à se taper

à pied. Un camion passe à vide dans le bon sens, sans ralentir. On le maudit et on reprend notre

marche silencieuse en essayant de penser à autre chose.

 

Une forêt de sapins, des nappes de brouillard qui s'accrochent à elle, des bûcherons qui nous offrent

du thé et de la tsampa, la piste monte toujours à travers les pierres blanches et le lichen de montagne. Un bruit de moteur et, en très peu de temps après cinq ou six Km en jeep, on se retrouve

sous la tente de la commanderie d'un régiment militaire en manoeuvre. On nous fait asseoir, on nous présente le commandant. L'interprète traduit comme il le sent, les réponses aux questions qu'on nous pose. On a tous les honneurs. Le repas est servi et on nous fait signe de passer à table.

Situation bizarre de deux types comme nous, hautement considérés dans un camp militaire au

Tibet, à 4000 m d'altitude, et qui plus est, partageant le repas d'un commandant. Scène absurde qui, du reste, ne choque personne d'autre que nous.

 

De l'autre côté du col, on passe la nuit dans une région très alpestre, un petit village où on apprend que les camions ne vont pas plus loin et qu'il nous faudra trois jours de marche pour parvenir jusqu'à la rivière qui coupe la piste.

 

En fait, le lendemain la chance, une fois de plus, est avec nous : un camion militaire nous prend dès la sortie du village. Les kilomètres défilent, les heures passent, les montagnes changent. Nous, on

s'accroche à l'arrière de ce camion débâché en se disant qu'on aura tout ça de moins à faire à pied !

 

Le camion finit, hélas, par s'arrêter. Il ne peut aller plus loin à cause d'un éboulis de pierres et

de terre tombé sur la piste. On reprend donc les sacs et on continue à pied. C'est donc ici que

l'aventure commence, dans ce pays coupé du reste du monde, là où on ne circule qu'à pied. La

piste est de plus en plus crevassée, défoncée par les dernières pluies. On comprend qu'on ne

reverra pas de camion avant plusieurs jours.

 

 

 

*

 

 

La voilà enfin cette sacrée rivière dont on parle depuis Lhassa. Une rivière brunâtre, grondante qui

vient de haut, charriant tout sur son passage et nous laissant hésitants et le coeur battant devant le câble qui relie les deux berges.

 

Plus bas, la folie d'une rivière himalayenne, blanche d'écume, belle et sauvage, à la dimension de

cet univers minéral. On se sent bien petit à côté de tout ça. Le problème est clair et pourtant pas

très simple à résoudre. Aucune erreur n'est permise. La largeur fait une dizaine de mètres (peut-être plus) et c'est impossible de passer directement avec nos sacs sur le dos car ils sont trop lourds.

 

Les cinq ou six militaires qui nous accompagnaient dans le camion de tout à l'heure nous ont rejoints. Un équipement sommaire est sorti d'un sac : une ceinture de sécurité et un fil de fer. Le

premier est paré. On le regarde partir, il tire avec ses jambes repliées le fil de fer qui doit servir à récupérer la ceinture pour le deuxième. Les derniers mètres ont l'air de l'épuiser. Il s'arrête à plusieurs reprises. Il arrive quand même à gagner l'autre berge, mais ses pieds sont encore loin de toucher le sol.

 

Les jambes pendantes, harassé, il finit par lâcher le câble et se balance en suspension, retenu par la

ceinture, à un mètre du sol. On le regarde gigoter ; il a du mal à se libérer de sa ceinture. Le fait est, que plus il remue, plus la ceinture le serre en montant le long du rorse, à chaque secousse,

comme s'il voulait s'en défaire par la tête.

 

Les autres s'éclatent en le regardant faire. Situation qui a tôt fait d'empirer. A tel point, que le

pauvre bougre, toujours suspendu, se retrouve les bras levés, la ceinture à hauteur du menton lui bloquant la respiration. Il crie sa panique et arrive, à travers le bruit des eaux, à nous la

communiquer. Il faut agir vite : sur notre berge se trouve un pieux qui surélève le câble en le tendant. On s'y met tous, on arrive à le coucher, mais ça ne suffit pas. L'autre là-bas suffoque.

 

Il y en a un qui commence la traversée ; sans ceinture bien sûr, mais plus à l'aise et plus rapide. Il libère enfin le pauvre type qui s'écroule sur la grève.

 

 

 

*

 

 

Deux des militaires sont passés et bras dessus, bras dessous, ont disparu. Les autres s'en retournent et nous, toujours du même côté, on réalise tout à coup qu'il faudra nous débrouiller tout seul. Ils ont

heureusement laissé le fil de fer. On s'en servira pour passer les sacs.

 

Un type qui sort de nulle part avec du ''matériel'' nous propose ses services et son prix. C'est un

passeur. On lui fait comprendre qu'on n'a pas debsoin de lui. Alors, il va s'installer sur un gros

rocher et attend que le spectacle commence, à savoir comment on va s'y prendre pour passer

à deux, avec deux sacs.

 

Ce qui est fou dans cette situation, c'est qu'il est bien évident que si Pascal ou moi tombons dans

la rivière, on se trouvera emporté comme une paille vers le grand tourbillon qui coule plus bas.

D'un côté le danger et de l'autre, ce tibétain impassible qui regardera jusqu'au bout, qu'on réussisse ou pas !

 

Moment décisif, c'est parti ! Pascal est au-dessus des eaux bouillonnantes. Même s'il est assuré au câble, je n'ai pas le coeur à prendre des photos, ni le temps en fait. Je dois faire suivre le fil de fer

qu'il amène pour qu'il puisse tirer les deux sacs quand il sera sur l'autre berge.

 

Arrivé de l'autre côté, mazis toujours suspendu à un mètre du sol, épuisé par l'effort, il commence à couper son assurance. Je lui fais des grands signes pour lui faire comprendre que s'il se libère maintenant, il lâchera le fil de fer. Rien n'y fait. Il continue de couper son écharpe qui finit par céder.

 

 

Le voilà donc de l'autre côté, tout seul ; moi, en face, avec les deux sacs et le fil de fer que j'ai récupéré puisque je tenais l'autre extrémité. Je suspens les sacs au câble à l'aide du fil de fer que

je devrai tirer avec moi. Tout est prêt, le fil est soigneusement enroulé autour du câble et se

dépliera au fur et à mesure de ma traversée, si tout va bien.

 

Cinq minutes plus tard, j'ai rejoint Pascal sur l'autre berge. Au moment de me détacher, le fil de fer qui nous reliait aux sacs, reglisse en arrière, le long du câble. Les problèmes commencent. Les sacs

se balancent au milieu du câble et on n'a plus aucun lien avec eux.

 

Dans l'eau glacée jusqu'aux cuisses, luttant contre les remous pour ne pas perdre l'équilibre, je passe un bon quart d'heure avec un autre crochet de ferraille, pour tenter de récupérer l'extrémité du fil de fer.

 

 

 

*

 

 

Quand, après plusieurs reprises, on finit par détacher les deux sacs (fallait bien qu'on y arrive),

après le soupir de soulagement, on a chacun dans le regard cette brillance qui est le signe qu'on est

content d'avoir gagné : on a réussi à passer ! On peut continuer vers l'Est.

 

 

 

*

 

 

Le prochain village, Tang Mai, doit se trouver à une trentaine de bornes. On essaiera d'y arriver avant la nuit. On a croisé deux Kampas, ces Cheyennes du Tibet qui vont à Lhassa de la même

manière que nous vers Chengdu. Ils viennent de loin (nous aussi). Ils nous proposent de partager leur repas, mais la route est longue : on se sépare chacun dans sa direction, chacun vers son destin.

 

La montagne de pierre devient jungle tropicale, touffue et humide. La piste qui longe depuis des kilomètres une large rivière boueuse est complètement détruite, dévastée par des éboulis, des rochers, des coulées de boue et des arbres en équilibre.

 

Heureux de s'arrêter quand on arrive à Tang Mai. Les sacs nous scient les épaules. Aujourd'hui,

le corps a bien travaillé. Un couple de Chinois nous héberge, pleins d'attentions pour nous. On

nous apprend, et ça été long pour nous le faire comprendre, que des camions, on ne peut en trouver

avant le prochain grand village, Bomi, à 90 kilomètres.

 

Encore trois jours de marche ! On n'a pas le choix de toute façon. On se donne du courage en se

répétant qu'on tente l'impossible. Chengdu, on y arrivera tôt ou tard, on le sait.

 

 

*

 

 

Des bonbons chinois dans la poche, du riz et du lard, deux oeufs dans un sac en plastique, des

pommes pour le dessert. On a fait le plein de vivres. Avant ce soir, on ne trouvera pas de village.

Et on repart dans la chaleur de la journée, sur la même piste, toujours plus vers l'Est, toujours plus

vers la Chine qui se dévoile peu à peu.

 

 

*

 

 

 

Un village reculé dans le fin fond du Tibet. Un vieux village de pierre, beau comme ces montagnes

qui l'entourent avec ses habitants , leur travail, leurs habitudes. Ils vivent là, coupés du 20ème

Siècle comme on devait vivre dans les Alpes au Moyen-Age.

 

Très vite, en dépit de cet intérêt qu'éprouvent ces gens à nous observer, malgré les rires d'étonnement et les doigts pointés vers nous, on s'aperçoit que personne ne tient à nous donner

un toit pour la nuit. Tout le monde est bien d'accord pour nous envoyer chez le voisin. De maison

en maison, on perd l'espoir de dormir à l'abri. On finit par s'installer à côté du village. Heureusement, on a de bons duvets, un peu de riz aux lardons qui nous restent de midi. On fait

un feu pour se consoler.

 

 

*

 

 

La pluie nous réveille à l'aube. On roule en vitesse les duvets en maugréant. Nous voilà donc,

de bon matin, reprenant notre petit bonhomme de chemin. Encore deux jours de marche jusqu'à

Bomi et là, si les derniers renseignements sont exacts, les occasions de prendre un camion ne manqueront pas.

 

Mais nous n'avons pas marché une heure que la chance, encore elle, nous sourit au moment où on s'y attend le moins :un camion qui nous attendait, dirait-on ; il va jusqu'à Bomi ! Le genre de

retournement de situation qui prend une importance telle qu'on a du mal à réaliser ce qui nous

arrive. Deux jours de marche en quelques heures ! On les économise nos petites jambes !

 

On traverse le lit d'une rivière, remorqué par un bulldozer et on débarque à Bomi, un village

chinois, laid, bétonneux et poussièreux, encastré entre des glaciers abruptes et des montagnes d'une

rare beauté. Un tracteur nous remorque pendant quelques kilomètres. On ouvre les yeux ronds devant l'aspect grandiose de ce qui nous entoure : l'Himalaya, encore et toujours.

 

 

*

 

 

A la nuit tombante, on arrive à Sumzom, un village tibétain au fond d'un cirque naturel et qui

ressemble, avec le ciel azuré du soir, les étoiles et la neige fluorescente, à un décor de Walt Disney.

Il y a, parmi ces gens qui nous hébergent pour la nuit, un ''traducteur'' de talent dont on se souviendra. Il maîtrise avec humour et très naturellement, une méthode de communication

efficace, directe : le mime. Une soirée à se marrer de le regarder faire, on en oublie la précédente.

 

 

 

*

 

 

A Rawou, on rencontre quelques Européens qui tentent d'aller vers Lhassa. Ils ne savent pas trop où

ils mettent les pieds : ils sont étonnés d'apprendre qu'on aie mis dix jours pour parvenir jusqu'ici,

eux qui se croyaient presque arrivés ! On leur explique succinctement sans trop les affoler, ce

qui les attend : les jours de marche, la route défoncée et surtout le passage de la rivière … En ce qui

nous concerne, ça a l'air plus tranquille ; on devrait enfin connaître Chengdu dans une semaine.

 

 

 

*

 

 

 

 

Bachoi : Les rares camions qui pourraient nous prendre ne sont pas gratuits. Comme on refuse de payer catégoriquement, on se trouve bloqué plus de deux jours dans cette petite ville, sans intérêt.

 

 

 

*

 

 

Markam est un village de terre aussi rouge que les montagnes de cette région. Plus tibétain, plus

typique peut-être, à cause du fait qu'il est le dernier de cette immense province que nous allons quitter. Mais là encore, ce n'est pas évident de trouver un camion. Les chauffeurs craignent de

nous prendre, pn ne sait pas vraiment pourquoi. Ils nous font rire. Avec leur ''gros camion'',

ils donnent à tout le monde ici, l'impression qu'ils sont les rois, les rois du Tibet.

 

On attend, à la sortie du village, assis sur des troncs d'arbre, la suite des évènements . Il faut apprendre dans ces moments-là, à ne pas être pressé. Les heures passent. La journée aussi.

Il faut demander asile. On traverse le village, suivis par une dizaines de gosses qui braillent

d'étonnement quand on s'enfonce dans les ruelles.

 

C'est bien la première fois que ça doit arriver. Comme d'habitude, on ne se bat pas pour nous accueillir ; c'est à nous de trouver l'endroit pour ne pas dormir dehors. Pour ces deux nuits

qu'on passera à Markam, on dort comme des princes sur un matelas de paille. On n'en demandait pas plus.

 

 

*

 

 

Au matin, on retrouve notre place sur les rondins de bois. Des Tibétains sont là, avec nous,

attendant eux aussi que ça change. Un vieil homme est venu pour nous montrer sa cheville

enflée, infectée de pus et pas très belle à voir. On a dans un sac une petite pharmacie de

secours, un peu d'alcool et une pommade antibiotique.

 

Je me sens obligé. Je me lave les mains et je m'apprête à commencer un nettoyage délicat.

C'est à ce moment précis qu'une moto, suivie de trois autres, s'arrêtent. On nous mitraille au

zoom, de près, de loin, chacun avec un appareil de ''pro'', chose qui, en Chine, est assez rare à cause

du prix. Ils nous expliquent dans un mauvais anglais (ils sont chinois) qu'ils participent à un rallye

de 50 000 Kms à travers la Chine, sponsorisé par Canon et qu'ils doivent ramener le maximum de photos.

 

On leur fait remarquer le vieillard blessé. Il y a parmi eux un médecin. Il regarde la plaie, sort d'un coffre des coton-tiges et nettoie la cheville avec un désinfectant. On regarde faire, tandis qu'autour

de nous, les autres motards s'en donnent à coeur joie, pour nous prendre en photo, sous tous les

angles ; et moi d'ailleurs, plus particulièrement, telle une star, sans exagération. Il est évident que

ma barbe et le turban indien que j'ai mis sur la tête, façon arabe, à cause du soleil, doivent leur

donner une image peu banale des rares touristes qu'ils pourront croiser sur leur chemin;

 

On échange les adresses, on se salue et on les voit disparaître dans un nuage de poussière ;

étrange apparition.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

Sur le chemin qui nous mène à Batang, le camion s'arrête une bonne heure. Et là, on observe, amusé, la cavalcade des hommes après les cochons ; des petits cochons noirs, rapides, vivaces et

très bruyants. On les monte un par un, on les attache un peu n'importe comment, certains arrivent à sauter et à s'en fuir dans la nature. Bref, quand on repart, il y a une quinzaine de cochons, des gens

tout autour, un chien qui se demande ce qu'il fait là et un âne qui regarde tout ce monde sans

rien dire.

 

 

*

 

 

Ca y est ! Cette fois on y est, en Chine. Batang est la première ville hors de la province tibétaine.

Pas grand changement. Les gens ici font tout aussi chinois dans leur tenue que ceux de Bachoi ou Bomi, par exemple. Beaucoup d'hommes et de femmes conservent encore la tenue maoiste (vert kaki ou bleu) et on continue à voir ces enfants qu'on habille en garde rouge pour les rendre plus mignons.

 

Comme les montagnes sont toujours là, il y a quelques kampas de passage avec leurs cheveux

longs, leurs bijoux, leur sabre, leur tenue qui contraste encore plus, ici. Mais eux passent inaperçus par rapport à nous. Comme on tient à garder cette bonne habitude de ne pas payer pour dormir

- c'est-à-dire de ne plus prendre d'hôtel, puisqu'on ne s'en porte pas plus mal – on commence, après

notre bol de riz, à chercher notre abri pour cette nuit.

 

Une cage d'escalier, au rez-de-chaussée, propre, on ne dérange personne. Le brave homme qui nous a proposé cet endroit (certainement le gardien de l'immeuble), parle un peu anglais. Il se fera plaisir

de nous apporter des couvertures et une bassine remplie d'eau chaude, une serviette et du savon pour la toilette du soir.

 

 

*

 

 

Il fait encore nuit quand on est réveillé par la ''musique'' que crachotent les hauts-parleurs de

la rue. Musique cadencée par des numéros : c'est la gymnastique matinale. Notre chinois est

déjà dehors, on le regarde faire ses mouvements consciencieusement dictés par les hauts-parleurs.

Les camions, vers Chengdu, se font tellement rares, cette petite ville de Batang tellement banale

qu'au bout de deux jours d'attente, on décide de prendre la route à pied. Bien contents de partir.

 

Quelques km plus loin, évidemment, un camion s'arrête pour nous, c'est reparti. On avance

lentement vers l'Est. Petit à petit, on se rapproche de Chengdu. Une dizaine de cols en haute

altitude où on se gèle les mains et le visage, recroquevillés à l'arrière du camion pendant deux

jours et puis d'un seul coup, on quitte les montagnes, en laissant derrière nous l'Himalaya.

 

On repense, en coup de vent, à l'Himachal Pradesh, au Népal, à la multitudes de paysages

différents qu'on a pu traverser au Tibet.

 

Cette fois, on se sent en Chine : la douceur de la plaine, les rizières à perte de vue : Chengdu n'est plus très loin.

 

 

*

 

 

 

 

 

 

CHENGDU

 

 

Lhassa-Chengdu en 21 jours. Trois semaines pas vraiment comme les autres ; ça sentait l'aventure,

parfois le danger, le mystère des régions inconnues, le secret du passé.

 

Avec Chengdu, on est passé du Moyen-Age en Chine Communiste. Une grande ville calme, ou

finalement, tout le monde à l'air de prendre la vie du bon côté. Des milliers de vélos, quelques bus,

ine ou deux voitures noires, officielles, reconnaissables aux vitres teintées et aux petits fanions

rouges à l'avant, et très peu de voitures particulières (qui de toute façon appartiennent à l'Etat).

 

Des petites ruelles sombres, des avenues immenses, une statue de Mao colossale, des affiches de

propagande peintes à même le mur (moins sollicitées que nos publicités). Des immeubles gris

et massifs, certains en construction. Un hôtel quatre étoiles, moderne, lumineux : le Dong Feng

qui reçoit les hommes d'affaires, les touristes aisés et autres étrangers perdus en Chine et en mal

d'Occident.

 

Une ville qui, malgré tout, ne paraît pas si triste. Ces gens sont tellement peu pressés, la douceur

du climat aidant, que chacun à pied ou à vélo nous donne l'impression d'être en vacances. Vers

7 H. le soir, une tranquillité nonchalente s'installe dans la rue. Chacun sort son fauteuil en bambou,

regarde la nuit tomber et les enfants, jouer. Franchement, ils ont l'air d'aimer leur petite vie.

 

 

 

*

 

 

Même si on ne prend pas d'hôtel, il nous faut un minimum de confort. On ne résiste pas ce matin

à la tentation d'aller prendre une douche dans les ''toilettes publiques'' du prestigieux hôtel

Dong Feng, ni ce soit, à celle de s'offrir un café expresso sur la terrasse au 30ème étage. Le luxe,

ce goût du café après 5 mois en Asie.

 

Cadre agréable, air conditionné, musique d'ambiance, on joue très classe ce soir avec nos barbes et

nos cheveux. N'empêche, qu'on vient s'asseoir à notre table : un couple d'américains qui veut

entendre parler du Tibet et un français, écrivain-polard, qui fait rire tout le monde quand il

parle anglais.

 

 

*

 

Pour la première fois depuis qu'on se trouve en Chine, on a rencontré un chinois qui parle français,

à peu près correctement. Lui aussi, est content de parles avec nous. Il nous invite à aller s'asseoir

et boire un coup. Liyu Jongjian est traducteur. Il transcrit en chinois Céline, Yourcenar et quelques autres. On discute de la France qu'il connaît pour y avoir pris des cours. Ine période de sa vie

qu'il préfère oublier, la Chine est bien trop différente.

 

Il nous renseigne sur les prix réels que peuvent coûter les aliments qu'on achète dans les restaurants,

mes prix que paient les chinois. On tombe de haut ! L'arnaque en Chine, envers les touristes est

pratiquement officielle, presque instituée ; le tarif évolue selon la tête du client. Ce problème, on

se méfie, parfois on discute le prix. Mais on n'ose pas imaginer les prix qu'ils vont demander

aux touristes du Dong Feng.....

 

 

 

*

 

 

 

 

Mais ce soir, on peut le dire : ''on s'est fait avoir comme des bleus''. On économise sur le transport,

on dort où l'on peut pour ne pas payer d'hôtel, tant bien que mal à chaque restaurant, on arrive à se

débarrasser de cette étiquette de ''touristes américains'' que nous affluent tous les chinois.

 

On se prenait presque pour les nouveaux routards ''démerdards'' de l'extrême-Orient. Mais là, ce

soir, la surprise, quand on nous demande de payer, est telle qu'on sort les billets les uns après les

autres, sans discuter. Pour une bouteille de coca-cola bien chambrée, une chanteuse qui se donne

des grands airs, un orchestre lamentable qui essaie de la suivre, les ''lumières tamisées'', les

fauteuils, les tables basses, une vague atmosphère de cabaret. Tout ça, ça doit se payer quand on

est touriste.

 

Bref, une petite histoire qui nous coûte l'équivalent d'un salaire moyen d'un chinois ! Sitôt sortis,

le coca-cola bouillonne, on pense à autre chose, on tourne la page. On se privera de notre repas du

soir. De toute façon, il est tard, on retourne au Dong Feng, l'hôtel grand standing de Chengdu.

 

On y rentre comme dans un moulin, on y prend une douche quand bon nous semble et surtout, on

y passe la nuit. En empruntant un escalier de l'hôtel, on a fini par trouver ce qu'on cherchait : une

pièce vide, propre avec une fenêtre et une porte qu'on peut d'ailleurs fermer de l'intérieur. Au

Dong Feng, on se sent comme chez nous.

 

La curiosité nous tente et quelque chose d'autre, qu'on peut appeler destin, nous pousse à monter

jusqu'au dernier étage. L'escalier se rétrécit, contourne la cage d'ascenseur et débouche dans les

cuisines encore éclairées de l'hôtel.

 

Il n'y a personne. Les frigots sont pleins de bonnes choses. Des pâtisseries, des charcuteries, des

douceurs qu'on avait oubliées depuis 5 mois. On goutte une confiture de fraises, on se prépare des

toasts, on aperçoit du saucisson, on fouille, la bouche toujours pleine.

 

Avant de redescendre, on emprunte une grosse boîte de nescafé, il y a si longtemps, quelques

conserves de fruits au sirop, pour la forme, et du sucre de canne liquide pour faire passer notre

coca-cola de tout à l'heure.

 

On ne s'en sort pas si mal, ce soir !

 

 

 

 

*

 

 

La Chine ancienne du temps de Lao-Tseu, de Confucius, l'Empire du Milieu, le Pays du Tao, pn

imagine un peu tout ça à une trentaine de Km au nord de Chengdu ; les montagnes de Chin-Chang,

l'équivalent de la forêt de Fontainebleau pour les parisiens. On y passe la journée du dimanche.

Une visite de quelques vieux monastères taoistes ; des moines en robe noire, des cris d'oiseaux,

des rires d'enfants qui résonnent dans une forêt presque vierge.

 

On y pique-nique, toute la petite famille se fait prendre en photo et on redescend avant la tombée du

soir, pour prendre le dernier car, un taxi ou son vélo.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

On quitte Chengdu en essdayant le stop … On se rabat sur le train. Une nuit dans le hall de la

gare de Chongking et nous voilà fin prêts pour se la couler douce sur l'un des plus grands fleuves du monde : le Yang-Tsé-Kiang.

 

Une croisière de cinq jours jusqu'à Shangai ; de quoi apprécier notre voyage en Chine, d'une façon plus confortable et moins mouvementée que notre fameuse traversée du Tibet. Les 5ème classes sont autrement plus bruyantes que les premières, mais pour nous, c'est le grand luxe. On avait

perdu l'habitude du lit et le fait de pouvoir s'allonger dessus, ne gê,e absolument pas notre sommeil ; le moelleux du matelas est loin de nous déplaire.

 

 

 

 

*

 

 

 

SHANGAI

 

 

 

Une escale à Wu-Han et nous débarquons à Shangai. Depuis quelque temps, tout va très vite. Il y a

une quinzaine de jours, on s'éternisait encore en plein Tibet. Nous avons donc traversé la Chine. Nous avons aussi traversé cet énorme bloc continental de part en part, de l'extrémité Ouest de

l'Europe jusqu'à la côte de la mer de Chine.

 

On dépose les sacs à la consigne de la gare et, mains dans les poches, on se ballade d'un bout à

l'autre de la ville comme si on était chez nous. Dans les grandes artères, même si parfois une mère

s'empresse de faire femarquer à ses enfants les deux étrangers qui passent, les gens ne se retournent

pas systématiquement sur nous.

 

Des touristes occidentaux, en groupes près du Peace Hôtel, attendent les consignes de leur guide qui doit les emmener au ''friend-ship-store'', le magasin de souvenirs pour ''les amis étrangers''. Avec

tout cet argent qui arrive en Chine depuis peu, quelques petits trafics aux abords des grands hôtels

entretiennent le black-market, le change au noir des billets RMB (la monnaie du peuple) contre les

FEC (la monnaie des touristes étrangers) à un taux allant suivant la ville de 120 à 130%. C'est

intéressant pour nous, ces 30 yuans de bénéfice net à chaque billet de 100 yuans FEC !

 

 

 

*

 

 

 

 

On débouche par hasard dans une ''galerie marchande'' souterraine, un tube circulaire interminable,

uniforme et blanc comme un couloir de métro. Les vendeurs et leurs stands se suivent tout le long,

impersonnels, sans reflet. Ici, nulle tentation, nul plaisir d'acheter. Consomme qui a besoin.

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

Puisqu'il faut bien dormir quelque part, on opte, sans trop hésiter, pour le plus stylé des hôtels de Shangai, un édifice de la vieille Angleterre, sur Nanging Road : le Peace Hôtel. L'intérieur sent

la prospérité, le luxe de la vieille époque, un luxe fière, inébranlable : moquette épaisse, lustre et

mobilier pesant, dorures, corniches de style … En bas, à l'entrée d'un salon somptueux, on jette

un oeil amusé sur ce beau monde (occidental) en grande toilette qui se pâme, et danse et se montre.

 

Ici, comme au Dongfend à Chengdu, personne ne se doute que les deux étrangers qui viennent d'entrer, n'ont d'autres intentions que de prendre le Peace Hôtel pour un squat de luxe. On se ballade sans craindre de se faire repérer : notre tête occidentale le suffit pour passer inaperçu

parmi les clients de l'hôtel. D'ailleurs, pour nombre de chinois, n'importe quel touriste étranger

est un capitaliste en puissance ; le genre ''routard-vagabond'' est encore loin d'être connu par ici.

 

On se retrouve dans l'obscurité du 9ème étage apparemment inoccupé. Dans la pénombre d'une

alcôve, sur cette moquette vraiment épaisse, on finira par s'allonger, par s'endormir jusqu'au matin.

Le tarif du bateau pour Hong-Kong est, hélas pour nous, hors de prix. On va quand même fureter

du côté du port : avec tous ces cargos, ces chalutiers qui arrivent, qui partent et avec un peu de chance, le ''bateau-stop'' pourrait être la solution pour couvrir à peu de frais les quelques 3000 kms

qui nous séparent de Hong-Kong. En fait, une fois sur place, la question ne se pose plus : l'accès

aux quais est strictement contrôlé, d'une rigueur toute chinoise. Fallait s'y attendre. Impossible de

passer. On abandonne assez vite, il vaut peut-être mieux ne pas insister.

 

 

 

*

 

 

 

Laver son corps et ses vêtements est devenu un de nos soucis majeurs ; Un problème que nous

avions facilement résolu à Chengdu, en profitant matin et soir, des douches chaudes du Grand Hôtel

Donfeng. Mais à Shangaï, ce n'est pas aussi simple, on se fait une raison. A moins de se contenter d'un lavabo public, il nous faut chercher cet établissement où les Chinois viennent passer quelques

heures l'après-midi. Là, pour quelques yuans, on peut se baigner, se doucher, se relaxer et se faire passer en dégustant un thé au jasmin.

 

 

 

*

 

 

 

Ils ne sont plus aujourd'hui que quelques dizaines à l'aube de chaque matin, regroupés par quartier,

par transistor, à respecter consciencieusement les institutions de Mao sur la mise en forme

quotidienne, ces séances de Taï-chi ou de gymnastique, celles-là mêmes qui rassemblaient dans

la rue, il y a quelques années, des millions de chinois, masse populaire synchronisée comme une

machine géante. Les temps ont bien changé ; les jeunes ont laissé de côté ces vieilles traditions

matinales. Seuls, quelques vieux maoïstes continuent encore, comme un relent nostalgique de

la grande époque.

 

Dans le hall de la gare de Shangaï entre deux files d'attente, on saute sur l'occasion qui nous

mènera jusqu'à Guang-Zhou (Canton) à moindre frais. On réussit sans trop d'inquiétude à obtenir

des billets de train en 4ème classe ''sièges durs'' au tarif ''normal'' (c'est-à-dire au tarif que paie

n'importe quel chinois) en passant par un revendeur qui traficote près des guichets. Un aubaine

que d'être tombé sur lui, car l'échange n'a pas eu besoin d'explications.

 

 

 

 

 

Il faut dire qu'aller faire comprendre à un chinois, que nous, occidentaux, payons nos tickets trois fois plus chers que lui, n'est déjà pas facile, mais essayer de le convaincre d'aller les acheter pour nous est le type-même d'entreprise qui va le faire sourire ; un de ces sourires comme on en fait

en extrême-orient pour montrer qu'on est loin d'avoir tout compris. De toute façon, s'il y a

compréhension, il y aura étonnement parce qu'ici, on conçoit mal des touristes autrement que très

riches et ''combiner'' le tarif d'un ticket peut paraître complètement illogique, pas très clair.

 

 

 

*

 

 

 

GUANG-ZHOU (CANTON)

 

 

 

Canton sera notre dernière ville chinoise. Dans peu de temps, nous allons donc retrouver, après ces six mois de route, la fièvre de ces grandes cités ''à but de consommation''. C'est d'ici que nous

prendrons le bateau via Macao, la capitale du jeu, puis ce sera Hong-Kong métropole du ''business''

où l'on vient du monde entier pour brasser des milliards.

 

Notre hâte d'arriver à Hong-Kong a des raisons un peu moins lucratives, mais pas franchement

désintéressées non plus : on est à sec ! La solution adéquate pour se remplir les poches, on ne la

connaît pas encore, mais étrangement on sait depuis longtemps qu'on pourra la trouver nulle part ailleurs qu'au beau milieu de ce New-York asiatique.

 

 

 

 

*

 

 

Sans aucun doute, Canton est la ville la plus moderne de la Chine. Les grands hôtels et les

''Départments-Stores'' foisonnent à la demande touristique. On modernise à la vitesse ''V''

comme si les urbanistes Cantonnais se prenaient subitement pour des promoteurs ; il est vrai

que les gratte-ciels de Hong-Kong ne sont pas loin. N'empêche, avec ce luxe qui descend en cascade éclairée dans les salons grand standing, Canton laisse au touriste une image bien différente

de celle que l'on se fait depuis l'Europe : la Grande Classe, le beau monde, le chic raffiné, ça existe

aussi en Chine communiste …

 

Même si, non-loin dans l'ombre crasseuse d'un recoin, on remarque la misère à son degré zéro :

le désespoir d'un vieillard qui suffoque, la face contre le sol, agonisant seul, dans les derniers moments de sa vie.

 

 

 

*

 

 

Le change au noir des FEC nous rapporte un bénéfice sur lequel nous vivons depuis quelque temps.

Jusqu'ici, on trouvait ça pratique, notre budget ne s'en portait pas plus mal. Mais maintenant que

nous sommes sur le point de quitter la Chine, nous avons un bateau ce soir pour Macao – cette

petite liasse de RMB devient problématique : officiellement, ces billets n'ont aucune valeur pour

le change en devises étrangères et la transaction, même au noir, paraît bien difficile si l'on veut

conserver le même bénéfice.

 

 

On essaie, sans trop y croire, de les refourguer au port, dans un bureau de change, en vain.

Des magouilleurs, pour nous rendre service, tentent de nous refiler dans l'ombre, des faux

H.K.$, trop mal imités. On abandonne, car le temps presse ; on trouvera une solution plus tard.

 

 

 

*

 

 

Un passage éclair devant les douaniers et nous voilà sautant in-extremis sur le pont du dernier

bateau pour Macao. Les lumières de Canton décroissent déjà. On vient seulement de réaliser

que l'on change de pays ! Le voyage prend parfois des accélérations soudaines, nous laissant

tout vibrants de curiosités, sur le pont d'un bateau. Adieu la Chine.

Demain, nous débarquerons dans ce port moitié portugais, moitié chinois : Macao. Encore

un nom au parfum d'exotisme, d'aventure, de bout du monde.

 

 

 

 

*

 

 

 

MACAO

 

 

Au petit matin, le bateau nous pond sur le quai, près d'un casino flottant. La petite ville semble

bien tranquille, encore endormie. Ce plus vieux comptoir de l'Occident a su garder ce quelque

chose de latin, avec son marché, ses églises, son petit air de sous-préfecture bourgeoise ; des

rues proprettes qui recyclent d'un coup, en souvenirs lointains, ces autres mondes, ces autres

temps que sont la Chine et l'Inde : tout a donc repris une allure à peu près ''normale'', voitures,

vitrines, pub, hôtels, restaurants …

 

 

 

 

*

 

 

A ce moment du voyage, on pouvait s'y attendre, l'envie (et peut-être aussi le besoin) d'argent se fait ressentir plus que jamais. A partir de maintenant, il faudra provoquer cette chance sur laquelle on compte depuis notre départ de Lassah ; il faudra la chercher ou bien l'attendre patiemment : question de temps.

 

On va donc fouiller dans les milieux chics, se perdre dans les salles embrumées des casinos, en

rêvant naturellement de se retrouver milliardaires en un tour de black-jack ; selon notre vieille

habitude, on se permet d'arpenter les couloirs moquettés des grands hôtels, par plaisir. Du reste,

c'est dans le plus bel hôtel de Macao (le Lisboa) que l'on se paiera le sacré culot d'occuper une chambre, le temps d'un bon bain ; tranquillité assurée, grâce au petit écriteau ''Do not disturb''

qu'on a pris soin de placer à l'extérieur de la porte.

 

Moins évident est de trouver notre coin pour la nuit. Macao est une ville bien gardée ; les entrées

d'immeuble sont contrôlées ou verrouillées. Chaque soir, la ''galère'' recommence : rechercher le

lieu tranquille, abrité, sans moustique, propre, discret, gratuit, autant de critères indispensables qu'il

faut dénicher en un même endroit.

 

 

Mais jamais on ne se plaindra, la route reste sacrée, cette ''zone'', comme on l'appelle et comme

on la voit depuis plusieurs semaines, nous montre à quel point ces ''inconvénients'' sont loin

d'altérer la beauté du dépouillement.

 

 

 

*

 

 

 

J'ai conservé depuis Paris, dans un recoin oublié de mon vieux sac, un petit matériel qui aurait pu

jusqu'ici nous sembler presque pesant par le poids de son inutilité : des pinceaux et des tubes de

couleurs. Petits objets finalement lourds de conséquence, puisqu'ils sont sensés déterminer la suite

du voyage. Nous allons, grâce à eux, participer à une curieuse opération : tenter de gagner de l'argent.

 

Le moyen choisi est simple : on achète des T-shirts unis et on les personnalise d'un beau dessin

(indélébile) ; le but est bien sûr de les revendre 5 ou 6 fois plus chers à Hong-Kong. Méthode

artisanale, pas vraiment rapide, mais dans l'immédiat, on n'a pas trouvé mieux.

 

 

 

 

HONG-KONG

 

 

Un fondu-enchaîné à vous couper le souffle : en une heure de temps, l'hydroglisseur de Macao et

un bus à impérial nous ont plongé au fond des canyons fourmilliants de Shimshatsui, le quartier

central de Kowloon-Hong-Kong.

 

La nuit est déjà tombée ; sur Nathan-Road les néons font feu de tout part. On a beau s'y attendre, quand on débarque au coeur de cette ville-lumière, après l'Inde et la Chine, on cligne des yeux

devant ces vitrines miroitantes de montres à quarts, de lecteurs lasers dernier cri, de téléviseurs

de poche …

 

Nous voici donc arrivés au pied du mur. C'est ici que tout doit se jouer. En fait, la situation est

plutôt exaltante ; la France paraît si loin, nous, si petits, si démunis et en même temps presque confiants en ce destin qui semble nous diriger depuis six mois.

 

Encore et toujours, ça sent bon la Route ; ça sent fort l'Aventure. Rapidement, on trouve l'endroit

pour se débarrasser des sacs, décidément trop lourds – les 3 quarts des affaires ont perdu peu à peu

leur utilité. On les dépose chez un chinois, au 10ème étage de Shangking Mansion, une matrone enveloppée et joviale, comme une Mama italienne.

 

La femme a transformé son propre appartement en un modeste hôtel de palier. L'accès libre est

bien pratique et nous coûte moins cher qu'une consigne à bagages. On ne garde avec nous que le

minimum : un drap qui nous sert de tapis de sol pour la nuit, deux pulls pour les oreillers et les

indispensables brosses à dents et appareil photos.

 

Sur Nathan Road, au milieu de cette foule à couper au couteau, on tombe nez à nez avec un Français, un parisien qu'on avait quitté à Lhassa et rencontré il y a une semaine à Canton, dans les salons de l'hôtel le plus somptueux de toute la Chine.

 

Comme nous, il était là, flânant à son aise, sans le sou, peut-être à la recherche d'un coin de

moquette pour la nuit.

 

 

 

 

 

 

Il est de cette trempe de voyageurs qui passent leu vie à tourner autour de la planète, à sauter

dans un avion pour Manille ou Caracas comme on prend son bus ou le métro.

 

En bref, il '' fait la route ''. En quelques mots, le gars nous renseigne sur Hong-Kong. Gagner

de l'argent ? pas si évident ; il y a bien ces '' trafics '' ' plus ou moins tolérés par les services

douaniers qui consistent à amener du '' courrier '' non déclaré entre Tokyo-Taïpeh-Seoul et

Hong-Kong en cinq jours ; le transport est gratuit et, selon l'employeur, une coupe de cheveux est

offerte, le costume prêté.

 

On prend note de ces '' milk-runs '' qui paraissent à priori sans danger, sans risque ; mais on

essaiera de s'en passer car concrètement, c'est loin d'être cher payé.

 

Pour dormir, il nous indique un endroit propre et tranquille, près d'une église. En fait de tranquillité, les moustiques s'en donnent à coeur joie jusqu'au matin. Dommage, le coin était

convenable.

 

 

 

*

 

 

 

Se laver de la nuit, se rafraîchir le corps d'une bonne douche matinale, ces besoins d'hygiène

tellement importants quand on vient de passer la nuit parterre, dans un coin de la ville, deviendront

de plus en plus difficiles à assurer gratuitement et quotidiennement.

 

Dans les étages de Shanking Mansion, là ou se situe la plupart des '' youth hostels '' de Hong-Kong,

là où pourtant des dizaines de touristes vont et viennent, rentrent ou sortent à toute heure de la

journée, hé bien on ne s'infiltre pas comme ça. Ce qui nous semblait naturel et presque amusant

à Chengdu, Shangaï ou Canton, devient un véritable casse-tête par ici. Les hôteliers ont le coup

d'oeil pour repérer les vrais clients des faux.

 

Mais coûte que coûte, chaque matin on se débrouille, quite à emprunter à défaut de douche,

discrètement, mais avec la toute naturelle désinvolture qui nous sied dans ces cas là, les lavabos

marbrés dans les toilettes du Sheraton …

 

 

 

*

 

 

 

Depuis le temps qu'on en parle, qu'on y pense, on finit par la tenter cette expérience. On ose, on

verra bien …

En plein coeur de Nathan Road, sur un coin de trottoir, nos premiers T-Shirts sont soigneusement

pliés, exposés sur un drap à même le sol. Au milieu, on a délicatement placé un petit carton pour le prix : 80 HK$ (80 Frs). Si l'on arrive à en vendre un, on amortit du même coup, et la peinture et les autres T-Shirts. Le plus dur est d'attendre le client.

 

Ces chinois qui passent devant nous, sont tous très '' clean '' : Ray Ban, chemisette et pantalon blanc

impeccables. Franchement, plus on y pense et plus on a du mal à les imaginer avec nos T-Shirts.

Les premières personnes qui daignent s'intéresser à nous, ce sont deux flics qui nous prieront

aimablement d'aller exercer notre petit boulot ailleurs. C'était prévisible, Nathan Road, la plus

grande avenue de Hong-Kong n'a que faire de nos chiffons. Néanmoins, on ne paie pas d'amende,

on ne craint pas non plus de confiscation. Les flics nous ont laissé entendre que ce business de rue

est toléré, sauf sur Nathan Road.

 

 

On emprunte la première rue transversale et à un carrefour jugé '' stratégique '', on conclut de s'y

installer.

Dorénavant, on adoptera cet endroit comme notre Siège Social, artisanal et commercial.

Peindre dans la rue, ça attire inévitablement nombre de curieux et parmi eux, nos premiers clients.

 

Il ne faut pas longtemps pour se prendre au jeu du commerce. Cette idée de T-Shirts a fini par nous

séduire en quelques jours. Même si le rapport pécunier n'est pas de ceux qui grisent, on n'exclut pas l'espoir de se payer un jour nos billets d'avion via Bangkok par ce moyen ! On y mettra le temps qu'il faut ; on n'est pas pressé …

 

Jusqu'à maintenant, sweets et T-Shirts, avec ou sans manche, le motif humoristique ou spécialisés''Department-store'', ça se vend plutôt bien. Peut-être le bon filon ? En attendant, avant

d'espérer épingler nos billets en liasse, il faut s'appliquer, fournir un vrai travail car si les modèles

partent assez vite, il faut se contraindre d'assurer en permanence le renouvellement de cette petite collection.

 

 

 

*

 

 

 

 

A défaut de stand ou de fonds de commerce, une cordelette tendue horizontalement, fait office

de présentoir. On y suspend, enfilés par les manches, nos quatre ou cinq T-shirts d'avance.

Avec ça, en cet endroit précis, impossible de ne pas nous remarquer. Et, si d'inspiration je me

mets à peindre, il advient que tôt ou tard, on se garantit un certain succès. Le fait de se retrouver

souvent au beau milieu d'un attroupement de badauds admirateurs et très bon public, n'est pas

pour nous décourager.

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

Une semaine passe. Notre petite affaire suit tranquillement son cours. Au fil du temps, elle

semble s'organiser. Par exemple, on a récupéré quelques cintres, déniché des polos unis pas

trop laids, pour 10 HK$ (10 Frs), j'ai complété mon matériel de peinture et on prend même

des commandes pour un magasin de prêt à porter qui tient à nous payer d'avance ; des détails

de misère comparés à cette cité du fric … Enfin, à notre échelle, on l'a trouve excellente cette

première '' semaine commerciale '' !

 

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

Ce soir, un des plus grands noms du jazz est venu d'un seul coup résonné dans nos têtes. On a du

mal à y croire, mais on vient de nous annoncer qu'on pourrait avoir besoin de nous. Oh, il s'agirait

simplement de réaliser un décor de scène pour le concert de Chick Corea dans une semaine !

 

Il faut nous voir devant cette sacrée carte de visite, relisant, dévorant l'adresse du Rick's Café, où

nous avons rendez-vous demain pour parler travail.

Le Rick's Café, c'est un restau-caveau-jazz apparemment assez coté à Hong Kong -

Herbie Hankock lui-même devrait y taper le boeuf demain soir. Nous aurons l'honneur d'y être

invités par Peter, l'homme à la carte de visite, l'un des patrons du piano-bar. Bon plan : on aura

toujours gagné ça.

 

 

 

*

 

 

 

Chick Corea … Bon sang, ça fait quand même quelque chose d'apprendre en deux minutes que l'on va travailler pour une star. A ce niveau, la question argent est passée en second plan : on lui ferait

pour rien son décor.

Ce qui importe pour l'instant, c'est que vraiment on puisse nous laisser la possibilité de le faire, car

on commence déjà à y croire.

Au fait, comment se fait-il que deux pauvres types à vendre des T-shirts sur un coin de trottoir puissent attirer l'attention et inspirer confiance, au point de se voir confier la mise en oeuvre du

décor scénique de l'A.C.Hall, la plus belle salle de concert de Hong Kong et qui plus est, pour une

star internationale ? Encore un petit mystère de la route. On entrevoit là un des évènements les

plus marquants du voyage.

 

 

 

*

 

 

 

Le lendemain, rien n'aurait pu nous faire manquer notre premier rendez-vous. On s'y présente

même en avance, titillés depuis la veille par la hâte d'en savoir plus.

En ce début d'après-midi, le Rick's Café, comme tout cabaret, se réveille à peine. Les cendriers

se vident, on aère, on aspire, astique range et à coup sûr plus soigneusement que d'habitude car

ce soir, du beau monde est attendu pour Herbie Hankock.

Le cadre est à la hauteur : exotisme, fraîcheur, programme vidéo, plante verte, intimité, éclairage …

En bref, il faut être sérieusement blasé pour trouver l'endroit moche.

 

Dès qu'enfin ce grand Chinois de Peter arrive, on ne perd pas de temps. Il va au bar commander

trois bières, ramène des nappes en papier, des crayons et on s'installe à la première table.

Avant d'échafauder nos plus belles idées, il tient - on comprendra pourquoi – à énumérer toutes

les données du problème ; qu'on soit bien d'accord, c'est à prendre ou à laisser :

En premier, le budget n'est pas mirobolant – 1000 HK$ pour les frais de matériel (peinture,

pinceaux, colle, bois etc...) plus une gratification de 500 HK$ chacun pour notre travail. On sait,

c'est vraiment peu, mais on ne va tout de même pas se plaindre !

La deuxième donnée du problème a l'air bien plus délicate à régler : pas question de travailler

sur la scène de l' A.C.Hall, ça aurait été trop simple ! (la salle serait occupée par des répétitions

et des spectacles). Le jeu est donc beaucoup plus subtile.

Il s'agit de construire un décor de 15 mètres dans un coin de pièce du Rick's Café. Evident ou pas,

faudra travailler aussi par imagination pour prendre du recul ou avoir une vue d'ensemble. On n'a pas le choix.

 

La dernière donnée n'est pas de celle que l'on peut oublier - c'est même là le véritable piquant du problème : nous sommes exactement à quatre jours du concert !

Alors, tout bien considéré, si l'on compte qu'une matinée doit être forcément perdue pour l'achat du

matériel, suivie d'une après-midi pour '' la mise en route'', une journée entière pour l'assemblage,

l'installation sur la scène de toutes les parties du décor, hé bien, il nous reste quelques heures

réparties en deux jours, pour la fabrication proprement dite … Dans quelle galère on est allé

se fourrer ?

 

Après cet intéressant coup d'oeil, côté technique, on en vient à cette partie tout aussi concrète et

pressante, la première épreuve du contrat ; ça nous fout le trac : nous allons choisir le thème du

décor …

 

Pas le temps de rêvasser ; on doit, pour bien faire, la trouver dans l'heure qui suit, cette idée

assez géniale, assez originale, assez digne d'être le support visuel d'un concert à l'A.C.Hall. Il faut

le dire, ce ''trac'' est certainement dû à la peur du ridicule.

Quand on sait que Chick Corea passe dans les plus grandes salles du monde, on peut se sentir timide avec ma petite expérience de scénographe au Club Méditerranée...

En roulant des sticks d'herbes, Peter nous aide de son mieux : ''A mon avis, il faudrait opter pour

la simplicité, parce que, vu le temps de réalisation, on risque de ne pas terminer à temps ''

 

''Je préfère un décor simple et bien fait, plutôt qu'un grand travail bâclé ou inachevé''.

On comprend l'appréhension de Peter, pourtant, un décor ''simple et bien fait'' c'est un décor raté.

Il faut absolument qu'on soit à la hauteur de cette chance fabuleuse qui nous tombe du ciel.

 

Cette scène de l'A.C.Hall, on va la sublimer, on en fait le voeu !

 

 

 

 

 

*

 

 

 

Dans ces conditions, inévitablement, le Super-Projet ne tarde pas à faire son entrée. La scène

se clarifie peu à peu, de croquis griffonnés en brouillon d'idées plus ou moins séduisantes et

puis, d'un coup, en bloc, comme pondu sur la nappe de papier, la conception définitive de notre

Super Décor. On le tient !

Thème original, réalisation facile, peu coûteuse et le sujet est approprié, c'est le moins qu'on puisse

dire : une ''Ville-lumière'' sur une scène de Hong Kong, là, c'est normal. Ca devient excellent quand on apprend plus tard que l'un des principaux morceaux de l'album a pour titre ''Electric City''.

On ne pouvait pas tomber plus juste ! Ce type de décor peut rendre un effet saisissant. Je le sais

par expérience. Avec un minimum d'éclairage en ''lumière noire'', les centaines de petites fenêtres

y vont de leurs feux fluorescents ''néons » » publicitaires en haut des tours, à l'échelle d'une scène

ça donne à coup sûr une sensation impressionnante de réalité. Et une réalité toute spectaculaire.

 

Cava, on est convaincu. On dresse donc la liste du matériel : plaques de polystirène , peinture fluo, peinture noire, blanche, colle, seaux, pinceaux, fil de fer, lame de scie. C'est à peu près tout ; ça ne

ruinera pas le Rick's Café.

 

On profite du reste de l'après-midi pour aller en taxi à l'autre bout de la ville (c'est Peter qui paie)

voir d'un peu plus près, à quoi ressemble ce fameux A.C.Hall. On y va pour une demi-heure. C'est

largement ce qu'il faut pour avoir une idée de l'effort à fournir, ''sentir'' la scène comme disent les gens du spectacle.

 

 

 

 

Décidés, on l'est. N'empêche, une fois passés les doubles portes à hublots, dans cette allée centrale,

face à la scène de l'A.C.Hall, l'impression est telle que pendant deux secondes, j'ai presque envie d'abandonner toute cette histoire de décor et de concert dans deux jours !

 

Les alignements de fauteuils, les dimensions de la scène, les balcons … c'est tellement loin de ce

qu'on osait imaginer ! Démesuré! Après la douche froide, on arpente déjà la scène pour noter les

proportions du décor. Et l'écho du ''petit décor simple et bien fait '' de Peter, me revient en tête.

Il faudra mettre les bouchées doubles, ''assurer'' coûte que coûte ; d'ailleurs, on ne peux penser

autrement, de quoi aurait-on l'air si on loupait tout ?

 

 

 

 

*

 

 

 

 

Ce soir, nous sommes de ''sortie'', cordialement invités par Peter à venir applaudir les inspirations improvisées d'Herbie Hancock - on ne se fait jamais prier pour une soirée musicale.

Comme de juste, en dépit de la foule, au Rick's Café, on est vite repérable. Ca on le sait depuis

longtemps ! Une serveuse s'est mise en tête de prendre notre commande, ''les consommations

sont o-bli-ga-toires '' !

On refuse, prétextant que, vraiment, on n'a pas très soif, que ce n'est pas encore ce soir qu'on

donnera 100 HK$ pour une bière, même pour Herbie Hancock et surtout, que nous sommes

invités par les patrons eux-mêmes.

 

Ca a pour effet d'empirer les rapports … notre serveuse visiblement a du mal à nous croire.

On s'y est mal pris, ou alors on est loin d'avoir des têtes d'invités. Elle s'en va donc, maugréant

en chinois et revient, sûre de son coup, avec Peter qui débloquera évidemment la situation.

Du reste, on verra dès le lendemain que le Rick's Café prend en charge non seulement nos

boissons mais aussi nos repas !

 

 

 

 

*

 

 

 

Les premiers rayons de soleil et le petit déjeuner sont souvent en voyage, d'une douceur à vous faire

oublier les pires galères de la nuit. De fait, quand on arrive juste en Chine et que l'on vient de

passer une bonne partie de la nuit à rechercher un escalier sans cafard ou sans gardien, quand on attaque le 6ème mois de route en Asie, on se surprend à aimer les super-marchés !

 

Chaque matin, on va se requinquer dans une véritable Laiterie Parisienne aux rayons colorés de

yaourts aux fruits et de fromage de Brie. On fait le plein à moindre frais et on s'en retourne déguster tout ça sur Nathan Road.

 

Les gens passent devant nous, on les regarde ; on parle de fromage et de yaourt. Plaisir simple, réveil en douceur. On n'en demande pas plus pour la première heure. Il faut ensuite penser à la toilette ; emprunter discrètement une douche dans une guest house de Shonking Mansion et

ressortir frais et dispos dans Simshats comme n'importe quel touriste. Pourtant, on se sent bien différents ; De ce pas, nous allons au Ricks's Café pour travailler. Le matériel est peut-être déjà

là-bas.

 

*

 

 

Peter, un peu trop pressé, n'a rien trouvé de mieux que des plaques de polystirène ridiculement

petites : 1 m x 1 m,50 – la moitié moins large que celles prévues. Ca implique deux fois plus de boulot pour l'assemblage. C'est amusant ! Mais pas le temps de se lamenter, on fera avec.

 

 

 

*

 

 

Nous tentons de diriger le cours du destin en commençant le travail directement à l'A.C.Hall,

dès cet après-midi. Tout est prévu : la camionnette, le restau ; on nous laisse même pour compagnie

une serveuse du Rick's Café, charmante Thai qui profitera, d'ailleurs, de ce changement opportun pour faire sa sièste? Côté jardin, une plate-forme extérieure, un quai de chargement ou déchargement de matériel sono, décor etc … Ca peut servir d'atelier. Là, on a la place, le soleil,

le calme. On est bien. Ca faciliterait tellement les choses si l'on pouvait garder l'endroit pendant

ces deux jours. On pourrait même y dormir.

 

On étale les plaques et sans perdre une minute, on trace, on découpe et on commence à peindre.

Le travail avance assez vite. C'est presque un soulagement d'avoir enfin commencé. La ''machine''

est donc en route, il ne nous reste plus qu'à lui faire prendre une bonne vitesse de croisière et la

mener à bon port.

 

On revient nous chercher en début de soirée, mais plutôt bien lancés, on a du mal à poser les pinceaux. Et puis la peinture, la colle, c'est bien loin d'être sec. On insiste pour rester : ''on va

dormir ici, c'est pas mal''. Le pauvre chauffeur, envoyé exprès pour nous chercher, ne comprend pas vraiment nos arguments. Pas facile pour lui d'imaginer que l'on peut passer nos nuits dehors,

parterre ; pas évident pour lui de réaliser qu'un endroit comme celui-là peut nous éviter de

galérer pendant des heures à la recherche de cet idéal coin propre, abrité, sans moustique, sans

gardien etc … Lui, est venu pour nous ramener, nous, la serveuse et le matériel, sec ou pas sec.

On reviendra donc avec lui. On apprendra d'ailleurs, que la scène et le plate-forme sur lesquelles

on vient de travailler, doivent être occupées par le Cirque de Pékin jusqu'au 21 Août, jour du

Concert. Le problème est réglé.

 

*

 

 

Notre tâche se poursuit dans le lendemain au Rick's Café, dans un bureau. Là, c'est plutôt étroit ; on manque de recul. Personne ne peut vraiment savoir où tout ça nous mène, mais je sens et je

dois bien être le seul, que déjà des immenses gratte-ciel se profilent, prêts à s'illuminer de tous

leurs feux fluorescents. Les publicités apparaissent aussi les unes après les aurtres en haut

des tours. J'attaque finalement le logo central '' The Chick Corea Electric Band'', partie du décor , on ne peut plus importante, on s'en doute. Fluo dégradé sur fond noir, ça devrait ''flasher'' à souhait.

 

 

 

*

 

Le 20 Août au soir, c'est-à-dire la veille du ''Grand Jour'', on peut souffler : le décor est pratiquement achevé. Disons qu'il ne reste ''plus qu'à'' le monter, à l'assembler sur la scène.

Cette nuit-là, dans nos escaliers de Nathan Road, on dormira mal : on subira naturellement

ce tourbillon d'annulation de concert, de décor qui s'écroule, de colle dévoreuse de polystirène

et je ne sais quel autre gag épouvantable que s'évertue à combiner pour nous le monde du rêve.

 

 

 

*

 

 

 

Il est à peine 9 H que nous sommes déjà à genoux sur la scène, coupant, encollant, appliquant,

enfiévrés par le temps qui passe, le concert qui approche.

 

On ne va pas ménager nos efforts aujourd'hui. Rien ne nous dit que nous soyons réellement

dans les temps, d'autant plus que cette foutue colle en prend décidément beaucoup pour sécher …

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Voyage en Asie de Frederic et Pascal GRACIA
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